Théâtre : « Music-hall », de Jean-Luc Lagarce à la Manufacture des Abbesses à Paris

Émouvant
« Music-hall » est une pièce très touchante. Un travesti seul en scène parle de lui à la troisième personne et au féminin sur une scène évoquant la misère banale d'un artiste qui n'a jamais percé. On aurait tout aussi bien pu intituler cette pièce « Grandeur et misères du monde de l'illusion » tant elle exprime avec force cette donnée si dissimulée – puisque le fondement du métier est de « mentir vrai » – du monde du spectacle.
Cette pièce a pour auteur Jean-Luc Lagarce, cette étoile filante du monde de la littérature dramatique. Écrite pour deux hommes et une femme en 1989, six ans avant sa mort, elle fait partie du dernier quart de son œuvre. On y retrouve ce verbe poétique si particulier, qui transmet autant d'émotions par ce qu'il dit que par ses hésitations ou ce qu'il tait. La difficulté de cette langue réside dans le fait que les reprises incessantes du texte* doivent être valorisées par le comédien sans casser le rythme ni épouser une cadence qui rappellerait le passage des wagons passant sur les anciens rails de chemins de fer. C'est ici le cas, et la tendresse poétique de la pièce ne s'en exprime que mieux.
Certes, il y a un récit – celui d'un tabouret qu'on a fini par acheter pour qu'il convienne, des sarcasmes des techniciens, des différentes façons d'entrer en scène selon la conformation et l'exiguïté du plateau… – mais il n'est là que pour évoquer une ambiance et, de fait, on est pris, suspendu aux lèvres du comédien, alors que rien de neuf ne se passe. On est typiquement dans une pièce conçue comme une « tranche de vie », mais tellement bien jouée qu'elle n'entraîne aucune lassitude, au contraire ! Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Lagarce – l'auteur contemporain le plus joué en France – il y a là une excellente occasion de le découvrir ; quant aux autres, ils apprécieront cette version qui restitue avec justesse une véritable émotion.
Pierre FRANÇOIS
* par exemple dans cet extrait tiré de « Music-hall » : « Comme tous les soirs, dans cette ville-là comme dans toutes les autres villes – vingt ou trente années ? trente années… -, la Fille jouera sa petite histoire, prendra des mines, habile à prendre des mines, fredonnera chansonnette et esquissera pas de danse. Comme tous les soirs… »
« Music-hall », de Jean-Luc Lagarce. Avec Jacques Michel mis en scène par Véronique Ros de la Grange. Du mercredi au samedi à 19 heures jusqu'au 13 juin à la Manufacture des Abbesses, 7, rue Véron, 75018 Paris, métro Abbesses ou Blanche, tél. : 01 42 33 42 03, www.manufacturedesabbesses.com.
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Photo : Marc Vanappelgem

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