Le théâtre a toujours été, au moins depuis Aristophane et son « Assemblée des femmes » (-393), un lieu de contestation. Quant au théâtre d’actualité, il remonte encore plus loin, à Eschyle et ses « Perses » (-472). Mustapha Benfodil ne fait donc que continuer à creuser un sillon déjà bien ancien avec cette pièce dure, actuelle et furieusement talentueuse.
Car « End/Igné » fait partie de ces pièces – il y en a tellement peu ! – dont on aurait aimé qu’elle soit moins bien jouée pour éviter de trop croire à la cruauté du propos. Mais ce personnage solitaire d’employé d’une morgue est complètement crédible dès le début, malgré les versants comiques du début de la pièce et oniriques de la fin qui servent à alléger l’ambiance. Il y a là un vrai joyau d’art dramatique. C’est aussi un témoignage de ce qui peut être dit en matière de contestation en Afrique du Nord, la pièce dénonçant les immolations qui ont commencé durant le printemps arabe et se poursuivent encore actuellement. Même s’il faut relativiser dans la mesure où la pièce est jouée dans les Alliances françaises plutôt que dans les salles de quartier…
Le jeu n’est pas le seul aspect réussi de cette pièce. Il y a un travail de composition visuelle lorsque le personnage ouvre des tiroirs. Les lumières sont aussi mises à contribution pour enrichir le sens de la pièce, que ce soit de façon anecdotique pour illustrer le récit (une panne d’électricité) ou bien pour souligner les moments de rupture dans le style qui nous est offert. Enfin, texte et jeu comportent une vraie poésie, une poésie qui exprime une intolérable blessure, certes, mais qui évite l’écueil du réalisme cru.
Pierre FRANÇOIS
« End/Igné », de Mustapha Benfodil. Adaptation et mise en scène de Kheireddine Larjam. Avec Azeddine Bénamara. La pièce sera du12 au 14 novembre au Festival international de théâtre action de Grenoble, le 2 décembre à la Scènes du Jura, Scène Nationale et Mi-Scène à Poligny (39), du 8 au 10 décembre au CDN de la Comédie de Saint-Étienne, le 29 janvier 2015 au C2, Centre culturel de Torcy (71).