Théâtre : Fragments d’un pays lointain

Jean-Luc Lagarce, mort en 1995, a été un inconnu de son vivant et est désormais l’auteur contemporain le plus joué, au programme du Baccalauréat et de l’Agrégation, traduit en vingt deux langues. La pièce actuellement jouée à La Tempête met en valeur la particularité de son écriture et montre les enjeux liés à sa mise en scène.

« Fragments d’un pays lointain » est la dernière œuvre de Jean-Luc Lagarce. Dans cette adaptation (d’où le terme de fragments ajouté au titre de sa pièce Le Pays lointain) qui mêle son écriture destinée à la publication et la fin de son journal intime, il est clairement fait référence au sida qui l’emporta à l’époque où on en connaissait le mode de transmission et pas encore le traitement. L’auteur était à ce sujet dans une posture particulière. Il a toujours affirmé que le HIV n’était pas un sujet (et le mot n’apparait pas dans Le Pays lointain) en même temps qu’il fictionnisait régulièrement sa propre vie. Un des symboles de ce fait est l’affiche du cinquantenaire de sa naissance : il est photographié en train de taper à la machine sauf que la photo est prise lors d’une pièce – une fiction – mais qu’il s’agit de sa propre machine à écrire – la réalité.

L’écriture de Lagarce est particulière, faite de rebonds et de spirales successifs. Pour en rendre compte fidèlement les metteurs en scène adoptent souvent une scansion particulière qui suit la cadence des assonances. Le problème devient alors de choisir entre adopter une diction quasi-poétique – et donc « théâtrale » – pour mettre en valeur l’écriture de l’auteur ou bien de rendre « naturel » le texte au risque de ne plus en faire ressortir le rythme.

Dans la pièce actuellement jouée à La Tempête, on assiste à un entre-deux : si les personnages de la mère et de la sœur semblent s’exprimer spontanément, les autres font preuve d’une application dans leur diction qui nuit à leur crédibilité.

Entre-deux aussi dans les choix de mise en scène : on n’est ni dans l’allusion ni dans le réalisme cru tout en tentant d’y faire penser. Dommage, car sans quitter la Cartoucherie on a pu y trouver d’excellents exemples – et parfaitement réussis – des deux écoles avec « Protée » et « La Putain de l’Ohio ». Dans les deux cas, un choix avait été fait, dans lequel on pouvait se laisser embarquer du fait de sa clarté. Il est vrai que c’étaient d’autres écritures, mais qui prétendra que celle de Claudel ou de Hanokh Levin est plus facile à rendre que celle de Lagarce ?

 Pierre François

« Fragments d’un pays lointain », de Jean-Luc Lagarce. Mise en scène : Jean-Pierre Garnier. Avec Maxime Le Gac Olanié, Arthur Verret, Makita Samba, Anne Loiret, Mathieu Métral, Camille Bernon, Loulou Hanssen, Inga Koller, Benjamin Guillet, Harrison Arevalo, Sophie Van Everdingen. Jusqu’au 15 décembre au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du champ de manœuvre, 75012 Paris, tél. : 01 43 28 36 36.

Crédit photo : Pierre Davy

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