Théâtre : (pièce) « Parlons, il est temps », de Philippe Aractingi au théâtre Essaïon, à Paris.

L’enfance enseignante.
« Parlons, il est temps » est une pièce sensible, pédagogique et complice avec son public. Sensible : l’auteur et comédien parle de son enfance avec le regard d’enfant qu’il avait alors, certes pour le commenter ensuite, mais l’approche première reste toujours celle de l’innocence dans un monde qui est loin de l’être. Pédagogique dans la mesure où il explique aux Français hexagonaux les nuances de la langue arabe et comment, par exemple, l’expression traduite mot à mot par « Enterre-moi ! » est une déclaration d’amour des mères à leurs enfants. Complice, on le constate dès avant d’entrer dans la salle, le foyer du théâtre étant devenu Beyrouth-sur-Seine tant on y entend, mélangés, le français, l’anglais et l’arabe. Avec un sens de l’humour inoxydable : « J’ai prononcé le mot « Israël », dit un homme à proximité, sûrement qu’un satellite m’a repéré, mais heureusement que nous sommes sous terre. »
Philippe Aractingi, sur scène (voir son interview supra), est au milieu d’un fatras : il déménage de nouveau et doit, une fois de plus, trier pour choisir ce qu’il garde. « Vous savez ce que c’est que quelqu’un qui déménage pour la énième fois ?, interroge-t-il, Un Libanais. » Le ton est donné : une sacrée dose d’autodérision emballée dans un mode d’emploi – forcément incomplet tant le Liban est incompréhensible – qui participe à l’humour du tout. Humour qui sait aborder les sujets sérieux – l’éducation rigide donnée par les Jésuites, par exemple – ou graves. La double culture de Philippe Aractingi est évidente. Lorsqu’il évoque une expression arabe ou une situation que toute la communauté a vécue, la complicité d’une partie de la salle est palpable. De même, lorsque, complétant le surtitrage en français par une explication de texte, il s’adresse aux hexagonaux, on éprouve une forme de gratitude pour celui qui explique sans dominer ou exprimer de ressentiment (alors qu’il y aurait parfois motif).
Le spectacle est construit comme une suite de quatre digressions après l’écoute ou le visionnage d’autant de cassettes. À chaque fois, il convoque les souvenirs et ces derniers éclairent un contexte, avec la légèreté de ceux qui n’ont plus que cela pour se garder une chance de survie.
« Si vous avez compris le Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué », rappelait-il lors de son interview. Ce n’est pas pour autant une raison pour se priver de ce spectacle touchant, sérieux, drôle, humain jusque dans ses moindres détails.
Pierre FRANÇOIS
« Parlons, il est temps », de et avec Philippe Aractingi. Mise en scène : Lina Abyad. Le mardi à 19 heures jusqu’au 29 octobre au théâtre Essaïon à Paris. 6, rue Pierre au lard (à l’angle du 24 rue du Renard) 75004 Paris. Métro Châtelet, Hôtel de Ville, Rambuteau. Bus arrêt Georges Pompidou. Réservation : 01 42 78 46 42 ou essaionreservations@gmail.com. https://www.essaion-theatre.com/spectacle/1083_parlons-il-est-temps.html
Photo : Imad El Khoury.