Actu : Foule aux Déchargeurs à l’appel des compagnies déprogrammées et des salariés.

À six heures, on comptait une petite cinquantaine de personnes dans la cour des Déchargeurs pour répondre à l’appel lancé par les compagnies évincées de la programmation, auxquelles la CGT s’était ralliée sur le tard. Vingt minutes plus tard, il y en avait cent cinquante de plus et au bout de trois quarts d’heure supplémentaire, encore une centaine. Le spectacle, comme le veut la tradition, ne commença pas à l’heure, mais fut de qualité.
Dignité à tous les étages en effet lors de l’exposé des faits. Émotion aussi : le texte préparé – au style soigné et bourré de prétéritions – tremblait dans les mains de l’orateur. L’impro n’était jamais loin non plus : « c’est ma fille » dit-il au moment de calmer un bébé à ses pieds. On peut en profiter – et même des interventions qui l’ont suivie – en allant voir la vidéo en ligne sur https://www.instagram.com/cietoutnestpasperdu/
Que sait-on de l’avenir du théâtre des Déchargeurs ? Rien, si ce n’est qu’une audience du tribunal de commerce aura lieu mardi pour décider de lui trouver un repreneur ou de déclarer la cessation de l’activité.
Les affaires étaient-elles aussi mauvaises que le dit la direction ? Si oui, comment a-t-elle pu soudain payer cinquante mille euros après avoir dit qu’il n’y avait plus rien en caisse ? La clause de confidentialité évoquée pour garder le silence existe-t-elle ? A-t-elle date certaine ? Le bail est-il réellement passé de cinq à deux ans ? Quand ? Comment ?
Que la direction cache ses difficultés à ses fournisseurs est parfaitement compréhensible : dès qu’un de ces derniers a vent des difficultés d’un créancier, il exige d’être payé « au cul du camion ». Et l’information se répand telle une traînée de poudre.
Mais que, dans une petite entreprise, où les relations humaines sont fortes et où tout le monde se sait embarqué dans le même bateau, les salariés découvrent la fermeture de l’outil de travail du jour au lendemain, cela fait plus qu’étonner.
Pour rappel, l’âme du capitalisme est le risque, qui est récompensé – ensuite, par voie de conséquence – par le profit quand l’entrepreneur – et son équipe – ont fait le bon pari. À ce titre, le monde du théâtre fait preuve du capitalisme le plus sauvage qui soit : on commence par payer la Sacem, les projos, les techniciens, les comédiens, les droits d’auteur, l’imprimeur, l’attachée de presse, etc. et peut-être que l’on se remboursera sur la billetterie pendant que tous les petits copains en font autant juste à côté. Ce n’est pas parce qu’il existe une réelle solidarité entre gens de la balle – et la preuve en est que plusieurs théâtres sont en train d’ajouter les pièces déprogrammées à leur propre programmation – ou quelques subventions, de plus ne plus rares, que cela autorise le premier venu à jouer au patron s’il n’en a pas l’étoffe. Car être patron, c’est aussi être solidaire des salariés au point de se payer après eux (ou de se licencier soi-même pour sauver les emplois des autres, on a vu cela aux chantiers navals Dubigeon), ou de les faire travailler pour des projets personnels dont on n’a pas besoin, mais qui permettent de verser une rémunération. C’est enfin être capable de dire les yeux dans les yeux à son équipe pourquoi et comment on en est venu à décider de fermer.
Ceux qui inversent les termes de l’équation – profit avant risque – ne sont que de petits astucieux et on voit actuellement comment leur façon de procéder mène des pays entiers à la ruine.
Pierre FRANÇOIS

Photo : Pierre François, et d’autres sur https://www.instagram.com/pierrefrancoisphoto/

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