Théâtre: « Le grand cahier », d’après Agota Kristof à la Manufacture des abbesses, à Paris.

« Le grand cahier » est un spectacle auquel on croit complètement ; c’est d’ailleurs le problème. Debout, immobile devant un micro, le comédien raconte avec un talent phénoménal une histoire remarquablement sordide. L’exercice de voix est admirable. Ce sont des nuances imperceptibles, mais très bien menées, qui font entendre tantôt la voix de l’enfant-récitant, celle de la grand-mère (dite la sorcière), du curé ou de sa servante, du policier, de la mère, de l’officier, du père, de la gamine des rues, etc. Les situations sont encore plus nombreuses que les personnages, de la torture à la zoophilie en passant par le curé pervers, le parricide, le vol méthodique, le sadisme, le masochisme, l’abandon des enfants…
Il n’y a qu’un spectacle qui a dépassé celui-ci dans la description clinique des atrocités (la différence étant que Genet décrit des abominations physiques tandis qu’Agota Kristof s’intéresse aux psychologiques). C’était, dans les années 90 à la friche de Mantes-la-jolie une adaptation de « Quatre heures à Chatila » qui se présentait comme une pièce pour une télévision et un clown. À l’époque, votre serviteur avait dû sortir, non par mécontentement mais à cause du malaise induit. Cette fois-ci, le passage était de toute façon barré par une voisine terrifiée qui serrait son sac contre sa poitrine.
Cette pièce est donc à recommander fortement à toutes les personnes qui apprécient les films d’horreur et qui ont la capacité de garder la vie des autres à distance de la leur (on a même pu entendre quelques rires). Quant à celles qui vivent la situation décrite à l’aune* du talent du comédien, qu’il soit permis de leur recommander d’envoyer un chèque pour saluer le talent incomparable dont il fait preuve en se disant qu’il leur coûtera de toute façon moins cher que le restaurant et la grande promenade qui leur seront au minimum nécessaire pour digérer ce spectacle, à moins qu’il leur faille acheter une bouteille d’eau-de-vie, coucher ou aller voir un psy pour se sentir mieux.
Pierre FRANÇOIS
« Le grand cahier », d’après le roman d’Agota Kristof. Adaptation, mise en scène, jeu : Valentin Rossier. Du lundi au mercredi à 21 heures, dimanche à 20 heures à la Manufacture des abbesses, 7, rue Véron, 75018 Paris, tél. 01 42 33 42 03, manufacturedesabbesses.com. Métro Abbesses, Blanche, Pigalle ; bus 67, 54 et 30.
*Aune : unité de mesure valant quatre pieds romains, soit environ 118,84 cm, qui équivalaient aussi, depuis François Ier à 3 pieds, 7 pouces, 8 lignes de Pied du Roy. Désignait aussi le bâton carré des drapiers servant à mesurer les coupons. « Mesurer les autres à son aune » : Juger autrui d’après soi-même. « Savoir ce qu’en vaut l’aune », « Tout du long de l’aune » : Beaucoup, excessivement. « Au bout de l’aune, faut le drap » : Toutes choses ont leur fin.
Sources : https://www.cnrtl.fr/definition/aune, https://fr.wikipedia.org/wiki/Aune.

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