Tendresse à tous les étages, par Distribil.
On sait depuis les débuts de son pontificat que le pape privilégie un registre de vocabulaire proche de la vie quotidienne. Et vulgarise la théologie et l’exégèse sans donner l’air d’en faire.
Son sermon de la nuit de Noël n’échappe pas à la règle. Pour ce qui concerne l’exégèse, on constate qu’il développe et explique ce qui est contenu dans une courte note de la TOB sous Lc 2, 8 (« Les bergers sont alors mal vus en Israël car ils vivent en marge de la communauté pratiquante. Ce sont des petits, des pauvres ») en un paragraphe long et très explicite quant au statut des bergers.
Tous les commentateurs ont relevé le parallèle entre le jeune couple qui accueille le Sauveur et les migrants qui marchent vers un avenir d’incertitude tenaillés par la peur en même temps que plein d’espoir.
Mais ce texte ne dit-il pas plus ? Il tourne autour de deux questions centrales. D’une part, la question de la place de chacun sur terre, d’autre par celle de l’espérance et de la peur. D’une certaine façon, ce texte est une parabole sur la démarche de la conversion.
Le terme de « place » a ici une valeur neutre, le mot n’est ni dévalorisant ni laudatif, c’est un état de fait. La « terre » est presque toujours le lieu du départ vers une arrivée qui se fait en « ville », une ville qui est d’abord celle de l’Histoire avant de devenir, in fine, « nos villes ». La terre, quant à elle peut aussi bien être le lieu du travail ou de l’habitation (avec une nuance de possession : « leur terre ») que la planète ou le lieu de l’hospitalité à laquelle le pontife nous exhorte. Le thème de la naissance, s’il court discrètement tout au long du texte, est simplement rapproché de celui de l’espérance (« étaient pleins d’espérance et d’avenir à cause de l’enfant qui était sur le point de naître ») comme du désespoir (le poids du désespoir qui naît du fait de trouver fermées de nombreuses portes). L’« espérance », au début du texte, est celle de « Marie » et « Joseph », elle devient ensuite celle des migrants avant de devenir en conclusion celle que nous avons la charge de réinsuffler à ceux que le désespoir a gagné. La « nuit » est ici habitée par Dieu, par la « Lumière » (seul nom commun du texte, avec « Enfant », à recevoir une majuscule), pas étonnant que dans ces conditions elle soit à l’occasion reliée à l’espérance. L’« obscurité »*, par contre, est celle de la ville au mieux indifférente, au pire tournant « le dos à l’autre », et c’est pourtant là que surgit « l’étincelle » – donc la lumière et l’énergie – de la tendresse de Dieu. Ce dernier, comme l’« étranger », n’est mentionné qu’une fois dans la première partie avant d’être développé dans la seconde. On remarque que si l’expression « Fils de Dieu » n’est utilisée qu’une fois, la désignation du Créateur est toujours précédée du terme « Enfant » dans la conclusion du texte, qui s’achève dans la forme d’une prière. Par ailleurs, son rôle évolue tout au long du texte. Si on part de la notion familière, on passe très vite à celle d’un Dieu tendre et joyeux qui nous « embrasse » par « miséricorde ». Puis à un Dieu non seulement présent là où on le croit absent, mais qui vient aussi à notre rencontre. Enfin, à un Dieu Enfant qui fait de nous des « protagonistes de la vie qui nous entoure » et de son « hospitalité », qui nous demande de raviver l’espérance chez autrui.
Pour insister sur certaines notions, le pape n’hésite pas à employer quelques formules choc. Deux parallélismes se remarquent tout de suite. « Celui qui n’avait pas de place pour naître est annoncé à ceux qui n’avaient pas de place aux tables et dans les rues de la ville » rappelle un fait qui balise tout l’Evangile : la Bonne Nouvelle est d’abord reçue, voire proclamée par les non ou mauvais croyants ( Jn 4, 1-42 ; Mt 8, 1-4 ; Lc 7, 1-10 ; Mc 7, 24-30 ; Jn 8, 1-11 ; Mt 27, 54 ; Ac 10…). Est-il interdit d’y voir une allusion à la parabole du riche et de Lazare** ? Pas sûr.
Le second parallélisme concerne la formule « païens, pécheurs et étrangers », et n’est pas strict. À ceux qui sont tels parce qu’éloignés de l’institution humaine, Dieu envoie son ange dire : « Ne craignez pas ». Pour ce qui concerne les pratiquants, qui sont tels parce que loin de son Royaume, Dieu vient les embrasser et les inviter à imiter ce geste. Et c’est le pape qui, à la suite de Jean-Paul II, dont la même phrase est citée deux fois, vient leur offrir le propos de l’ange aux bergers : « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ », en un sens qui est plus que spirituel.
Plutôt qu’un parallèle, il s’agit d’une répétition au sujet de la tendresse « révolutionnaire » de Dieu. Elle est d’abord affirmée comme un fait qui, par contraste, se révèle au milieu de l’obscurité des constructions humaines. Puis est demandée comme une grâce à recevoir lors de la prière finale, avec de nouveau un glissement qui nous demande d’en devenir acteurs en prenant en charge et l’espérance et la tendresse de nos contemporains. Cette dernière demande a été auparavant dite de façon concrète et militaire : nous devons être « des sentinelles » pour ceux qui ont cédé au « désespoir qui naît du fait de trouver fermées de nombreuses portes ». Cette référence insistante à la tendresse concerne tout le monde, même « ceux qui ont cédé à l’asphyxie causée par une vie renfermée », et comment ne pas penser ici à la parabole du semeur : « … il en est aussi tombé dans les épines, les épines ont monté, elles l’ont étouffé… »*** ?
Par contre, cette tendresse et miséricorde infinies – que le pape copie dans sa propre attitude quand il parle de la ville qui « semblerait vouloir » rejeter autrui – ne doivent pas faire perdre de vue que l’enjeu est radical : dans son exhortation priante finale, le pape choisit de faire référence à un passage du jugement dernier selon Matthieu****, un texte clivant qui délimite clairement la frontière entre les élus et les rejetés du Royaume céleste.
C’est là qu’est proposé la conversion. Soit nous restons paralysés par nos peurs, soit nous utilisons l’énergie que nous fournit cette peur pour faire preuve de « créativité » sociale, d’inventivité dans les relations, de baiser divin à accepter de recevoir pour devenir capable de ranimer l’espérance et la tendresse de ceux qui ont basculé dans le désespoir.
Et maintenant, relisons, par pure curiosité, l’ensemble de ce sermon en ayant à l’esprit le thème de l’accueil de l’enfant à naître ou bien le paragraphe sur les bergers en pensant aux divorcés-remariés…
DISTRIBIL
*On se permet de remarquer que ce terme est de la même famille que celui d’obscurantisme.
** Lc 16, 20-21 : « Un pauvre du nom de Lazare gisait couvert d’ulcères au porche de sa demeure. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche… »
***Mc 4, 7
****Mt 25, 31-46
Photo : Catholic Church England and Wales, licence Creative Commons.