Feuilleton : « Chaînon manquant », par LTL : épisode 6.

Pendant le vol, une hôtesse vint le voir. Elle lui dit :
« Paul, un verre de quelque chose ?
— Un café s’il te plaît, Amy.
— Comment vas-tu ?
— Bien, merci…
— Je t’ai vu discuter avec un homme bien étrange, à l’hôtel.
— Oui… un enquêteur. Il fait des recherches sur un archéologue que j’ai rencontré.
— Moi aussi je l’ai rencontré ! Tu ne te souviens pas, lors de notre escale en Irak ? Il s’appelait Jérôme quelque chose…
Jérôme Patient.
— Oui, c’est cela !
— Et qu’est-ce qu’il lui arrive ?
— Il est mort.
Amy poussa un cri de surprise.
— Comment ?
— Empoisonné !
— Et l’enquêteur croyait… que c’était toi ?
— Bien sûr que non !
L’hôtesse de l’air réfléchit et lui dit :
— Tu te souviens de ce dont il nous avait parlé ?
— Non, pas trop, malheureusement…
— C’était passionnant ! Il nous a parlé des religions, de leurs origines !
— Plus précisément ?
— Mais enfin, Paul ! Je croyais que cela t’avait intéressé !
— Oui cela m’avait intéressé, mais je reste rationnel avant tout ! Ces théories étaient des… spéculations. Eclaire-moi. De quoi te souviens-tu ?
La jeune femme prit un air malicieux. Et elle lui dit :
— Il parlait de la civilisation des sumériens. Bien avant les grecques. Bien avant les romains, ou les premiers chrétiens. Cette civilisation serait le berceau de nos cultures à tous. Nous sommes tous concernés. Et le plus intéressant est que leurs textes religieux ont apparemment inspiré nos religions modernes, les trois grandes religions monothéistes notamment : Judaïsme, Christianisme, Islam.
— Tout cela m’a l’air abracadabrantesque !
— Comment as-tu pu l’oublier ! C’était tellement intéressant, la manière dont il le racontait !
— Je suis imperméable aux croyances des autres.
— Mais en quoi tu crois, toi, Paul ?
Le pilote réfléchit un court instant, puis dit : 
— Je crois en la raison. On peut tout inventer. Comme le disait Marx, la religion est l’opium du peuple. Je pense que c’est vrai. Les gens s’inventent un dieu, des repères, car ils se sentent vulnérables, sans guide au-dessus d’eux. Je n’ai pas la même philosophie. 
— C’est-à-dire ?
— Il faut arriver à se gérer soi-même. Si je dis « c’est la faute de Dieu » ou « merci mon Dieu », j’abandonne ma responsabilité dans ce qui m’arrive. Que ce soit positif ou négatif.
— On peut le considérer comme ça, répondit son interlocutrice, mais tu n’es pas très convaincant. En tous les cas, en ce qui concerne les textes sumériens, qui ont inspiré la Torah, la Bible et le Coran, ce qu’il y a de plus intéressant c’est qu’ils évoquaient l’existence de plusieurs dieux, alors que les trois religions de notre temps n’en évoquent qu’un seul.
— Peut-être que cet homme a dit n’importe quoi ! 
— Écoute Paul, arrête avec la pensée unique. Essaie d’élargir ton champ de vision. D’accord, tu peux croire en ce que tu veux et ne pas croire en ce que tu veux, mais prend acte de ces informations. N’est-ce pas intéressant ces réponses à l’origine de nos cultures ? Apparemment les sumériens sont nos ancêtres et en savaient beaucoup plus que nous dans certains domaines. 
— Alors pourquoi dans les religions actuelles il n’y a qu’un dieu ? 
— Ça, Paul, je n’en ai aucune idée ! Bon, je retourne avec les passagers. »
Le pilote repensa au serpent bleu présent sur la carte de l’étrange enquêteur et sur le mot accroché sur la porte de son frère. Quelle symbolique ?
Jean était à l’université. Il donnait un cours d’actualité politique. Il s’adressait à ses élèves :
« Comme vous le savez, notre civilisation vit un tournant dans son histoire. L’année dernière, la politique a changé du tout au tout entre les États. Alors que nous étions arrivés à un chaos, avec de larges manifestations au sud et une grave crise économique au nord, nous sommes tous, collectivement, parvenus à un déclic. Nos pays sont enfin en paix. Bien sûr, tout n’est pas résolu, mais nous avançons vers un âge d’or.
Un élève leva la main.
— Oui ? dit le professeur.
— Ça, on le sait bien, déclara le jeune garçon. Mais comment cela a-t-il bien pu arriver ? Nous avons tous vu à la télévision ces révolutions dans les pays en voie de développement. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Comment un matin, les leaders du nord et du sud sont-ils parvenus à un accord ? Y a-t-il eu des contreparties ? 
Jean réfléchit quelque peu. Il répondit :
— Il y a eu des négociations.
— Entre qui et qui ?
— C’est simple. Il suffit de constater qui dominait le rapport de force à ce moment-là. Si vous vous en souvenez, le mouvement du sud était impulsé par les pays exportateurs de pétrole, qui, eux, avaient la main sur l’approvisionnement en énergie des pays riches.  Rien n’est gratuit. Les pays riches n’auraient pas fait l’effort qu’ils ont fait si on ne leur avait pas mis la pression. 
— Mais… les pays riches eux-mêmes se trouvaient confrontés aux manifestations de leur population !
— C’est exact. Il y a eu des mouvements sociaux, à moitié guidés par la solidarité au sud à moitié guidés pour que les gouvernements du nord remédient à la pénurie en énergie. Et les dirigeants des pays riches se sont ainsi tournés vers le sud pour que ce foutoir cesse. Partout sur la planète, il y avait des interrogations sur les moyens de trouver un meilleur équilibre entre tous les pays. Et entre les riches et les pauvres. Voilà comment nous en sommes arrivés là.
Une étudiante prit alors à son tour la parole :
— Mais, comment cela se fait-il que cela n’ait pas suffi ? D’accord, il n’y a plus de guerres sur Terre. Presque plus. Mais pourquoi ne sommes-nous pas encore en plein âge d’or ?
Jean expliqua :
— Vous savez, vous, les jeunes, ces choses-là prennent du temps. Un peu de patience. Cela fait un an seulement. Il y a tant à faire. Mais maintenant, c’est à vous d’agir. Vous êtes l’avenir du monde. Vous décidez de la société de demain. C’est à vous de jouer ! »

 

Photo : LTL

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