Feuilleton : « Chaînon manquant », par LTL : épisode 7.

Après ses cours, en rentrant chez lui, Jean se plongea à nouveau dans son livre « Témoignage ». Il ressentait tellement de joie à se plonger dans ce livre. Il continua à lire les mots de la jeune femme.
« Tout commença en traversant la rue. Mon fiancé et moi, nous nous réjouissions de projets futurs. Une voiture me renversa et je suis tombée dans le coma. C’est alors qu’une aventure incroyable m’arriva. Mon âme fut transportée au ciel. Pas sur un plateau de nuages. Dans un monde plein de lumière, où des êtres, pas si différents de moi, pas si différents de nous, vivaient paisiblement. Je n’ai jamais vu des êtres aussi beaux. Ce n’était pas leur peau, leur façade. C’était tout simplement ce qui émanait d’eux, car on ressentait en eux une grande puissance et une grande bonté. Je ne comprenais pas ce que je faisais là. On me dit que j’étais une protégée. J’étais protégée par le maître des lieux, Ka. » 
Des êtres d’une grande puissance et d’une grande bonté… Jean se demanda qui pouvaient bien être ces créatures. Des anges ? Des dieux ? Est-ce que tout cela pouvait être réel ? La suite du récit répondit à ses interrogations :
« Je les aurais pris pour des anges. À vrai dire, je ne sais pas si les anges existent. Mais ils m’ont expliqué que leur monde aidait le nôtre à évoluer. Ni des dieux, ni des anges…. Seulement des êtres d’un autre monde, beaucoup plus éclairés et développés. Ils se considéraient un peu comme les grands frères et grandes sœurs de « l’Humanité de la Terre », comme ils l’appelaient. »
Paul avait fait atterrir l’avion avec succès. En descendant de l’avion, il vit Amy à côté de lui, souriante. Elle lui dit : « à bientôt, monsieur terre à terre ! ». 
Il lui rendit son sourire et rentra chez lui.  Le soir-même, il se rendit chez sa mère. Son frère était également invité. Ce dernier lança à Paul, pendant que leur mère était à la cuisine :
« Frérot, pas à un mot à Maman, sur le serpent bleu. Ça ne ferait que l’inquiéter inutilement !
— Si tu veux. »
Leur mère arriva avec un plat de légumes, finement cuisinés. Elle leur dit :
« Alors mes garçons, quoi de nouveau dans vos vies ?
Ils se regardèrent tous les deux, mal à l’aise. 
— Y a-t-il quelque chose que j’ignore ?
— Je…bredouilla Jean. Je continue la lecture de mon livre. 
— Et donc ?
— C’est intéressant. L’auteur évoque l’existence d’une civilisation beaucoup plus avancée, qui guiderait l’Humanité. Des êtres qui ne seraient pas des dieux, des êtres qui ne seraient pas non plus des étrangers. 
— Ah oui ? fit la mère, curieuse. Mais comment donc en est-elle arrivée à cette conclusion ?
— Il s’agit d’un voyage que son esprit a fait en quittant son corps, dans le coma.
— Mais oui, j’ai déjà entendu parler de ce genre de phénomènes !
— Vraiment ? demanda le professeur, surpris.
— Il s’agit de NDE : « Near Death Experience » : les expériences de mort imminente. Les personnes qui ont frôlé la mort de près racontent parfois des aventures étranges que leur esprit ferait, aux frontières de la vie. Comme cette histoire de lumière au bout du tunnel…
Paul réagit :
— Maman, il y a un monde entre voir une lumière dans l’obscurité et s’inventer des créatures plus intelligentes que nous, qu’on ne pourrait voir et qui auraient une influence sur le sort de l’Humanité !
Jean poursuivit en complétant :
— Le plus intéressant est que ces êtres parlent de nous comme une « Humanité de la Terre ». Comme s’il y avait d’autres humains, ailleurs…
— Mais ces créatures seraient-elles humaines ? demanda Paul, impulsif.
— Je ne sais pas. Elles sont décrites comme des « grandes sœurs » et « grands frères » de notre humanité. Oui, je crois qu’ils se considèrent comme des humains. Ils sont un peu des « super-humains ».  Comme si l’Humanité était une grande famille. Ils nous considèrent comme archaïques, mais en même temps, ils misent beaucoup d’espoir en nous. 
La mère demanda à Jean :
— Pourquoi t’intéresses-tu tellement à ce livre, mon fils ? 
— Parce qu’il m’apporte des réponses, maman.  J’ai besoin de réponses. Ça me fait vivre. »
La suite du dîner se déroula tranquillement. Cependant, Jean remarqua à la fin du repas un petit cadre qui encadrait un dessin. Et sur le dessin…figurait un serpent bleu ! Il s’exclama alors :
« Maman ! D’où vient donc ce dessin ?
— Tu ne t’en souviens pas ?
Jean répondit non de la tête. Sa mère lui expliqua :
— C’est un dessin que tu as fait lorsque tu avais neuf ans. Je l’ai cassé sans faire exprès en faisant le ménage, je l’ai mis là pour penser à lui trouver un nouveau cadre. »
Les deux frères se regardèrent avec un œil entendu. Le mystère du serpent bleu était bien plus ancien qu’ils ne le pensaient. Pendant que leur mère était allée chercher le dessert, Paul dit à son frère :
« Je savais bien que ça venait de toi, cette histoire !
— Ça ne veut rien dire. C’est peut-être un symbole qu’on a vu tous les deux à la télé ! »
Ils restèrent silencieux au retour de leur mère. Mais Paul ne put s’empêcher de demander à leur mère :
« Maman, qu’est-ce que c’est, ce serpent bleu qu’a dessiné Jean ? Comment cela a-t-il peu parvenir à l’esprit d’un enfant de neuf ans ?
— A votre avis ? 
Leur mère regarda son assiette.
Elle prit une profonde inspiration et leur dit :
— Mes garçons, mes enfants. Il faut que nous parlions de quelque chose.
Ils restèrent silencieux, avides de savoir ce qu’elle allait leur révéler. Elle poursuivit :
— Le serpent bleu un symbole… très important, qui a un rapport avec notre famille. Je ne vous en ai jamais parlé, car je voulais que vous viviez une vie normale. Avec des gens normaux. Mais nous ne sommes pas des gens normaux. Nous appartenons à un groupe, à une caste. Ce serpent en est le symbole. 
Elle marqua une pause, sentant la stupéfaction de ses fils. Elle continua :
— Le monde est en grande partie composé d’êtres instables, ou futiles, ne cherchant pas à voir au-delà de leurs œillères. Mais nous ne sommes pas comme ça. Depuis des générations, notre famille prend soin de ses membres, pour leur inculquer des valeurs et apprendre à gérer leurs capacités. 
Paul lui demanda :
— Mais quelles capacités ? 
Sa mère lui répondit :
— Ce sont des capacités d’adaptation. Toi, Jean, et toi, Paul, vous excellez tous les deux dans votre domaine. Et cela vous paraît normal. Mais ça ne l’est pas. Nous vous avons appris à vous intéresser au monde autour de vous, à vous intéresser aux autres autour de vous…
Jean la coupa :
— Maman, dans toutes les familles il y a une éducation, quel rapport avec ce serpent bleu ? Comment m’est venue l’idée de le dessiner, quand j’avais neuf ans ?
— Venez.
Elle les entraîna dans le salon, et attrapa un livre dans la bibliothèque. À la surprise des deux jeunes hommes, sur la couverture était dessiné en grand un serpent bleu. Elle le tendit à Jean et lui dit :
— Voilà comment tu as eu cette idée. Je l’avais négligemment laissé traîner sur le canapé et tu t’en es aperçu. Tu m’avais demandé « Maman, c’est quoi ? », et je t’avais répondu…
Jean compléta :
« Ne touche pas ce livre, Jean, c’est précieux. » Oui, je m’en souviens maintenant.
Paul insista :
— Quel est donc ce livre ?
Jean lui donna dans les mains. Paul l’ouvrit. Mais les pages étaient remplies d’écritures étranges. Une langue qu’il ne pouvait pas déchiffrer. Il dit à leur mère :
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— C’est un langage que connaissent les membres de notre famille.  Vos ancêtres, en tout cas. J’ai volontairement refusé de vous inculquer. Je veux que vous soyez heureux et vous ne seriez pas heureux si vous cachiez un secret…
Paul répliqua, mécontent :
— Maman vas-tu nous expliquer ? Nous n’avons plus trois ans, nous pouvons l’entendre, cela !
La mère prit une grande inspiration. Elle leur annonça alors :
— Ce livre est écrit dans une langue très ancienne…. Celle de nos origines.
— Quelles origines ? Demanda Jean, très curieux.
Paul le coupa et protesta :
— Maman, de quoi s’agit-il ? 
L’un et l’autre la regardaient, déconcertés. Elle leur demanda alors :
— Ce serpent est bleu… Qu’évoque ce bleu pour vous ?
Paul se lança :
— Si le serpent bleu couvre un livre écrit dans une langue que seule notre famille connaît, c’est peut-être en lien avec notre famille ?
Jean compléta :
— Maman, tu parlais de capacités, de castes… Notre famille est-elle élitiste, pour garder précieusement ce langage ?
Ils étaient sur la voie. Elle finit par dire :
— Avez-vous déjà entendu parler du « sang bleu » ? 
Les fils se regardèrent. Jean lança :
— Tu veux dire que nous aurions du sang bleu ? Nous aurions un lien avec les monarchies ?
— Ce n’est pas exactement ce que je veux dire. Savez-vous pourquoi on dit que les aristocrates ont « le sang bleu » ?
— Non ! dirent-ils en cœur.
— Parce que leur sang vient du ciel ! »
Jean et Paul demeurèrent bouche bée.  Ce que leur mère était en train de leur dire, c’était que, eux aussi, avaient le sang bleu. Et que ce sang venait du ciel ? Restait à savoir… quel ciel.
Ils voulurent poser plus de questions à leur mère, mais elle prétexta une fatigue pour ne pas avoir à s’expliquer davantage. Pourtant, eux n’avaient pas du tout envie de repartir chez eux tranquillement se coucher. Paul dit à Jean :
« Viens, on va boire un verre ! »
Et les deux frères s’installèrent au comptoir du bar le plus proche. Jean dit à son frère :
« Paul, Qu’en penses-tu ?
— Ah c’est toi le petit génie au dessin du serpent, quand tu avais neuf ans !
— Simple concours de circonstances. J’ai vu ce symbole sur un livre qui traînait, et, comme j’ai toujours adoré dessiner…
— Oui ça d’accord… mais bon. C’était très étrange. Ce livre, ces écritures inconnues…
— Point positif, Maman ne pourra pas garder ce secret éternellement, maintenant qu’elle a montré ce bouquin. Elle ne pourra pas faire comme si rien ne s’était passé. On l’a vu. Et ce langage inconnu, soi-disant « des origines », elle le planquait bien à l’abri, ne voulait pas qu’on l’apprenne, elle voulait qu’on ait une vie « normale ». Mais rien n’est pire que le mensonge. Toutes ces années, elle cachait bien ce livre… Mais que contient-il ? On aurait dû dès le départ faire pression sur Maman pour qu’elle nous le dise tout de suite ! Maintenant elle va sans doute planifier des explications bateau… Rien ne vaut mieux que la spontanéité. Paul, que penses-tu de cette histoire de « nos origines » ?
— C’est très étrange.  Cette révélation de Maman intervient peu à peu après que j’aie appris la mort de l’archéologue. Lui aussi parlait de « nos origines ». Je ne me souvenais plus trop de ce dont parlait cet homme, mais une de mes collègues me l’a rappelé, récemment. Apparemment, nos origines remontent aux sumériens, au Moyen-Orient. Leur religion aurait beaucoup influencé les nôtres…
— Les nôtres ? De quoi tu parles ? demanda Jean, sur ses gardes.
— Les nôtres, les trois grandes religions ! Judaïsme, Christianisme, Islam.
— Quel rapport avec les sumériens ?
— Leurs textes religieux ont inspiré ceux de ces trois religions… avec la différence majeure qu’eux, les sumériens, croyaient en plusieurs dieux et non en un seul, comme « chez nous »…
Jean répliqua :
— Et qu’est-ce que ça change ?
Paul protesta :
— Mais… Frérot, Ça change tout ! S’il y a plusieurs dieux, ça fiche tous les religieux par terre !
— Non, Paul. Ça ne change rien. On a tous nos croyances. Peut-être que les sumériens se trompaient. Peut-être qu’il y a un autre message derrière tout ça. 
Paul répondit à son frère :
— En tout cas, pour moi ça ne change rien. Je n’y crois pas, à tout ça. Cet archéologue aurait mieux fait de s’adresser à quelqu’un d’autre. L’opium du peuple, disait Marx. L’opium du peuple…
Jean sourit. Bien sûr qu’il s’attendait à cette réaction de son frère. Il lui fit une tape à l’épaule et lui dit :
— Paul, mon cher frère, tu es un incorrigible rationnel.
— Même si je suis terre-à-terre, je m’envole plus haut que toi ! »
Il lui fit un clin d’œil. Ils finirent leur verre et rentrèrent chacun chez eux. Le lendemain, l’un avait un cours à donner, l’autre avait un avion à prendre. Chacun chez eux, ils réalisèrent qu’ils n’auraient pas d’explication de leur mère avant un moment.

 

Photo : LTL

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