Un parfum attachant, par David Westphal
Certains spectacles sont des cadeaux. Non pas de riches joyaux que l'on arbore avec fierté et un rien de suffisance, mais des petits gestes simples, plein de grâce et de pudeur. Des gestes d'amour, qu'il faut savoir recevoir. « Les escargots sans leur coquille font la grimace » fait partie de cette catégorie.
Non, ce n'est pas le spectacle de l'année. Aucune nomination à entrevoir. Il s'agit d'une production dénuée d'artifices comme sait en proposer depuis sa création le Théâtre des Déchargeurs. C'est ce théâtre de peu, que l'on a tous joué en famille le dimanche. Ce théâtre où un châle vous habille en princesse, un bâton vous fait chevalier, une couronne vous dessine un château. Il est à peine besoin de décor ni d'accessoires lorsque la sincérité et le don habillent tous vos mots. Une histoire vraie a ceci de touchant qu'elle parle à l'âme de chacun, qu'elle nous rappelle dans un sourire à nos propres souvenirs, et qu'elle nous invite sous une lumière nouvelle à mesurer la richesse et la complexité de l'être humain.
Juliette Blanche nous raconte son histoire. Celle de la recherche de son identité sexuelle. Pour la plupart d'entre nous, l'identité sexuelle est le plus souvent banale, on n'y pense même pas. Elle est, et puis c'est tout ! Mais c'est oublier qu'il n'est pas toujours évident d'être homme ou femme et qu'à neuf ans, à l'âge où de nombreux secrets restent encore à percer, la vie, qui ne manque ni d'humour ni de cruauté, peut se charger de semer le désordre entre les roses et les choux. À neuf ans donc, Juliette Blanche croit comprendre qu'en naissant elle a déçu son père qui voulait un garçon. Alors bien sûr, elle prend bien inconsciemment la seule décision sage que lui dictent sa générosité et son propre besoin d'amour, elle entreprend de corriger cette erreur de la nature et d'être le garçon de son papa.
De cette « innocente entreprise » et de ses suites, Juliette Blanche écrit une succession de saynètes où dansent l'humour, la poésie, le doute et la souffrance. Quelques jolies idées de mise en scène offrent du liant à l'ensemble. La photo qui accueille le public par exemple, tirage noir et blanc d'un visage dur et fermé, qui se déchire par l’œil, telle une larme, en est une parfaite illustration. Le ton est donné en quelques secondes sans qu'un seul mot n'ait été prononcé.
L'auteur, et interprète, incarne avec candeur mais conviction son propre rôle et nous fait partager la lente maturation de son trouble. Son compagnon de scène, Andy Cocq, interprète à ses côtés tous les personnages secondaires avec drôlerie et pertinence. D'un geste, d'une voix, d'une posture, presque sans artifice ni accessoire, il dessine un personnage toujours juste et passe de l'un à l'autre avec légèreté sans tomber dans le piège de l'expression du genre.
Cette création ne fera pas d'ombre aux théâtres des grands boulevards. Si elle ne relève pas du génie, il s'en dégage un parfum attachant et elle mérite d'être saluée. Elle est un don, un hommage aussi de Juliette Blanche à son père, à sa mère, à la pluralité. Et au bout de sa quête d'identité, que croyez vous qu'elle fit ? Elle choisit le métier de comédienne et d'incarner les multiples facettes de l'être humain… Vous avez dit bizarre, comme c'est bizarre !
David Westphal
« Les escargots sans leur coquille font la grimace », de Juliette Blanche. Avec Juliette Blanche et Andy Cocq. Théâtre des déchargeurs, 3, rue des déchargeurs 75001 Paris. Réservations 0892 68 36 22 / 01 42 36 00 50. Jusqu'au 20 juin 2015, les jeudis, vendredis et samedis à 21h30.
Photo : Benjamin Colombel.