Musique : David Sire entre scènes originales et nouvel album (1)

Itinéraire
David Sire est d'abord passé par Normale Sup avant de devenir chercheur universitaire puis… poète et musicien. Il a rencontré le succès dans une configuration de groupe normale jusqu'au jour où il s'est rendu compte que sa démarche était biaisé par le désir de plaire plus que d'être authentique. Reparti de zéro, il se produit aujourd'hui dans des théâtre, des prisons, des maisons de retraite, chez les gens… partout où une vraie rencontre est possible. Il sort en ce moment son huitième cd* en même temps qu'il continue de tourner ses spectacles**. L'écouter expliquer son itinéraire et ses convictions amène à la même paix tranquille que celle provoquée par la sobriété élégante de ses chansons. Entretien.

Quelle est votre démarche poétique ?
Il s'agit de donner la priorité à la parole plutôt que de faire entendre. Ce qui fait la différence entre les deux est la pellicule narcissique que la société et l'éducation nous offrent. Malheureusement, faire entendre – faire attention à ce que l'on dit pour délivrer un message de la façon la plus efficace possible – mène à faire les choses à l'envers et empêche une véritable poésie de la rencontre.
Parler, c'est descendre au cœur des choses et de soi sans chercher à faire de cette parole une parole de séduction, c'est accepter la simplicité de la nudité. Se faire entendre, c'est maquiller la réalité, tricher pour mieux vendre, au propre comme au figuré. Il y a un équilibre à trouver entre rester dans sa tour d'ivoire et séduire à tout prix. Ce qui m'est arrivé avec mon groupe « Drôle de sire » et les 350 concerts qu'on a faits sur trois ans, c'est qu'à la fin on s'est mis à chercher à plaire. C'est pourquoi j'ai arrêté. Comme un besoin soudain de partir au désert. Un désert de plusieurs années qui m'ont forcé à recommencer au début, avec ma guitare dans des bistrots.

Aller au désert ,c'est retrouver votre liberté ?
Mon désert était différent de celui des premiers moines, le mien était itinérant : seul sur mon vélo durant la journée et avec les autres à l'étape. Comme les deux temps d'une respiration, unis par une approche méditative de mon travail. Ma première tournée est allé de Paris à Sète, pour saluer Brassens, avec un vélo, une carriole et mes chansons, en jouant dans des théâtres, des granges, chez l'habitant… Sans le silence, il est très difficile d'avoir une parole vraie. On est un peu comme un micro : quand on est brouillé, qu'il y a trop d'interférence, on n'est pas clair et par voie de conséquence on ne l'est pas non plus pour autrui. Inversement, plus on se frotte aux autres, plus on est clair avec soi. L'essentiel est dans la rencontre, c'est ce qui m'a amené à inventer la bidulosophie.

C'est-à-dire ?
C'est une pataphysique joyeuse et sérieuse. Son postulat est posé dans une chanson faite pour ma pompe à vélo au moment de partir en tournée : « Les autres, c'est ça la vie ». C'est une philosophie de l'altérité et je remercie mon métier dans la mesure où il m'ouvre des portes me permet de vraies rencontres dans des lieux étonnants : communautés Emmaüs ou prisons par exemple. À la question si souvent posée « T'es qui, toi ? », la réponse est « Je est un nous ». Car on est aussi ce qui nous tisse, donc un fruit des autres. Le collectif nourrit l'individualité et l'individu ne se fond pas dans le collectif.

N'est-on pas là dans un désir de retour à la nature par opposition à la société industrielle ?
A la nature, sans doute pas, mais à nos connexions profondes, sûrement. A cet égard je suis un admirateur de Pierre Rabhi, qui s'oppose à la société capitaliste post-industrielle pour prôner une sobriété.

Pouvez- vous parler de votre rencontre avec les compagnons d'Emmaüs ?
Je n'ai vu l'abbé Pierre qu'une fois. J'étais très jeune et c'étaient mes parents qui m'avaient emmené. J'avais senti qu'il se passait quelque chose chez cet homme. Et ce qui me frappe aujourd'hui chez eux, c'est cette demande de donner ce qu'on n'a pas. Ils ont peu d'argent, souvent leur famille a explosé et ils sont passés par la rue. Mais ils ont découvert que c'est en donnant sans fin qu'on peut tenir debout. Donc, plutôt que d'essayer de retrouver un statut de propriétaire, de possédant, ils décident de vivre ensemble avec peu et de mettre leur travail au service des autres. Il y a par ailleurs un accueil mutuel extraordinaire : « Entre, assieds-toi, nous t'attendions » avait l'habitude de dire l'abbé Pierre. La phrase est redite aujourd'hui dans des communautés Emmaüs composées parfois de non-chrétiens et elle a une valeur humaine impressionnante. C'est rassurant de voir cela alors que le reste de la société va dans le mur. La question est celle de la contagion possible. Je suis heureux que mon travail me donne accès – je le dis avec beaucoup d'humilité : je ne suis pas prophète, j'essaye juste d'être passeur parce que je suis artiste – à de telles cellules où on cherche des solutions et j'ai la chance qu'on me donne ces fruits de façon assez directe.

(À SUIVRE)
Pierre FRANÇOIS
* « Je est un nous », chez L'autre distribution le 27 avril, avec Fred Bouchain à la guitare. Trois des précédents ont obtenu le coup de coeur de l'Académie Charles Cros.
** Cercles de Bidulosphie le 09 avril à La Bouche d'air (Nantes), 10 à la salle d'Agneaux à Agneaux (50), 20 et 21 mai au Limonaire (Paris), 3 juin au Centre de détention de Nantes.
Concert bidulosophique « L'Homme parapluie » le 9 avril à Nantes, 10 à Agneaux (50), 20 et 21 mai à Paris, 3 juin à Nantes.
Spectacle jeune public « Niet Popov ! » le 29 mars à Nanterre, 31 au Mée sur Seine, 2 avril à Nantes.
Spectacle « C'est de famille » le  29 mai à la Salle polyvalente de Langogne à Langogne.
Spectacle « Filopat & Cie » les 18 et 19 juin au Forum des images à Paris.
Présentation de ces spectracles sur son site personnel : http://www.davidsire.com/.

Visuel : Edmond-Baudoin

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