Mélancolie légère.
Faisant fi de la pandémie, Denez a continué ses explorations et sort un onzième album. Il y convie le duduk, le bandonéon, la trompette piccolo ou les ondes Martenot à côté des traditionnelles cornemuses, bombardes ou veuze sur des rythmes mêlant la mélopée de la gwerz avec des beats, loops ou scratchs. Et a toujours la même voix superbe, tranquille et grave qui chante au rythme d’une promenade sur un sentier de la lande, mais sans la lourdeur de la boue qui se colle sous les bottes.
Ce chantre de la solitude cultive la rencontre. Lui qui plonge ses racines dans la plus vénérable tradition bretonne, au point de créer des gwerz, n’a pas hésité dès 1997 à introduire de l’électro dans sa musique. Ici, on retrouve à ses côtés le bagad Kevrenn Alre, mais aussi le rappeur Oxmo Puccino et la chanteuse Aziliz Manrow (dans Walz of life) ou Yann Tiersen aux ondes Martenot et Émilie Quinquis à la voix (dans Gant ar red).
Accompagné, il reste le capitaine, celui d’une inspiration, d’une magie, d’une fantasmagorie qui savent marier le désespoir et la légèreté, l’épreuve et l’absolu de l’amour. Ses incantations ont le don de toucher qui ne comprend mot du breton, parce qu’elles parlent la langue universelle de l’émotion. Passeur, il l’est, entre le ciel et la terre, entre les morts et les vivants, entre le pays de la mer et les continents. Paradoxal aussi, parce que la vie l’est et que l’espoir est à ce prix.
Comment fait-il ? On aura beau parler des quarts de ton qui donnent des notes lamentatives propres à inspirer l’incantation, cela reste en grand partie non pas son secret – puisqu’il accepte de s’exprimer à ce sujet – mais sa marque, une patte qu’il cultive en fréquentant la nature et le surnaturel comme d’autres fréquentent des amis ou l’église. Il faut l’entendre sur la gwerz – « notre âme pleure avec ce chant et ça nous fait revivre* » – ou le grasoù. Nature qui lui est essentielle au point que « je ne pourrais plus vivre en ville coupé de la nature. Le silence, le vent, la pluie, l’orage trouvent dans les lieux reculés des résonances qu’il n’y a pas en ville, tout comme le soleil, la lune et les étoiles n’y brillent pas de la même manière. On est ramené à ce que nous sommes réellement, des êtres humains faisant partie du tout. On y retrouve ainsi une certaine humilité, on va à l’essentiel de nous-même… et c’est très inspirant. » L’Ankou, dans ce contexte baigné de merveilleux, reste un mystère mais perd sa dimension tragique ; au contraire, il fait encore mieux apprécier la vie. Le moment du concert n’est pas moins bénéfique : « Après avoir chanté, on se sent lavé, libéré, soulagé. Le chant par l’émotion profonde qu’il véhicule dépasse les mots. » Et pour lui et pour nous…
Pierre FRANÇOIS
Stur an Avel – Le Gouvernail du Vent, de Denez, chez Coop Breizh Musik. Sortie le 16 avril 2021 chez Coop Breizh Musik. Distribution Idol et Coop Breizh Diffusion.