Socio-politique : Canal plus s’approprie un nom commun.

Le site citizenpost relaye une tribune portée par plusieurs associations de défense de la planète qui se sont regroupées dans le collectif Notre Planète à tous. Son propos rappelle l’époque où certains ont voulu breveter le vivant. La logique est toujours la même : faire de l’argent avec ce qui est commun et n’a rien coûté à celui qui s’approprie un bien commun, en l’occurrence le mot « planète ». Vais-je être poursuivi parce que j’ai écrit « planète » au lieu de « Terre » ? Et quand « terre » sera à son tour déposé à l’INPI, l’association « Terre solidaire », la fondation du même nom et le CCFD-terre solidaire devront-ils mettre la clef sous la porte ?


Par le collectif « Notre Planète à tous »


« La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, la vérité c’est le mensonge » écrivait G. Orwell dans 1984. Ce sinistre univers s’est soudain rappelé à nous lorsqu’une certaine justice a décrété que : « La planète, c’est Canal+ ». Lui aussi niché au creux d’une télévision, le Groupe français de l’audiovisuel exerce de fait une surveillance aiguisée afin de maintenir sa prédominance sur un mot qu’il est légitime d’estimer aussi inaliénable que ce qu’il désigne.
Ces dernières décennies, les règles juridiques ont été refaçonnées de façon à favoriser la libre-concurrence du marché. Or, celles-ci apparaissent moins diligentes concernant la propriété intellectuelle, octroyant la possibilité à des grands groupes de privatiser des mots communs à des visées commerciales. Si cela peut sembler anodin, les conséquences s’avèrent délétères pour les associations et petites structures ne disposant ni des moyens financiers, ni des moyens humains pour défendre leur propre marque.
Certaines d’entre elles s’unissent aujourd’hui pour signer cette tribune, avec le sentiment qu’une limite a été franchie et qu’il y a bien plus à défendre que son intérêt particulier. Depuis que Canal + a déposé les mots « Planète » et « Planet » à l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) en 1999, puis « Planète+ » en 2011, ainsi que des déclinaisons, le groupe audiovisuel français s’oppose régulièrement à ceux qui souhaitent faire usage dans leur nom d’un mot commun qui, par essence, n’appartient à personne et tout le monde à la fois. Utilisé sans suffixe, ce mot renvoie à LA planète, notre monde, la Terre qui, par extension, est l’ensemble des habitants de la planète, et dont le philosophe Edgar Morin dit : « La petite planète vivante doit être reconnue comme la matrice (…) C’est le jardin commun à la vie et à l’humanité. C’est la maison commune de tous les humains. » La Planète désigne aussi bien notre humanité commune que l’endroit qui nous rassemble et garantit notre existence. 
Peut-on donc imaginer que par un tour de passe-passe administratif, quiconque puisse prétendre à un monopole commercial sur la désignation de notre monde, voire de n’importe quel corps céleste orbitant autour d’une étoile, quelle que soit sa place dans l’univers ? Après la colonisation des espaces, est-on en train d’assister à celle des mots communs et donc celle des esprits, qui les font vivre et leur insufflent leur âme ? 
Lorsqu’il tente de faire annuler ou restreindre le champ d’une marque incluant le mot « planète », le Groupe Canal+ allègue du fait que celle-ci engendre une confusion avec leur marque « Planète+ ». Ces velléités reposent sur un fondement absurde, comme en atteste le fait que le Groupe n’a pas l’antériorité de dépôt du mot « Planète » seul ou accompagné à l’INPI et que près de mille marques utilisant ce mot aient été enregistrées depuis 2011 – dont certaines pour des activités ayant trait au domaine audiovisuel – sans mettre en péril les activités de la chaîne cryptée. Ajoutons que depuis 2011, le Groupe Canal+ n’a plus de chaîne de télévision désignée par le seul mot « Planète » et que sa gamme de chaînes documentaires contient systématiquement le signe très distinctif « + », dont l’absence écarte encore davantage tout risque de confusion.
Les associations environnementales empêchées par Canal+ se retrouvent dès lors confrontées à une situation kafkaïenne, ne pouvant plus nommer ce qu’elles sont chargées de préserver. C‘est insupportable, alors même que l’urgence écologique se fait chaque année plus prégnante, s’aggravant au rythme de la prédation des biens communs à l’humanité par des grands groupes. Les terres, les écosystèmes terrestres et maritimes, l’eau des nappes phréatiques et aquifères, les minerais, les semences, les savoirs autochtones… rien n’échappe à leur voracité. Détricotant les droits humains et environnementaux, ils font sauter une à une ces digues de protection de la démocratie par les décisions de tribunaux arbitraux ou grâce aux accords commerciaux, dont le principe est que la liberté du commerce commence là où s’arrête celle des peuples. Demain, ce sont les conséquences de leurs ravages que nous devrons tous affronter, car certains s’obstinent à percevoir chaque mètre cube de notre planète comme une ressource à piller et non un sanctuaire à protéger. 
L’émergence du mot « écocide », dont l’étymologie signifie « tuer la maison », atteste de l’urgence de la situation. Il vise à qualifier les crimes infligés à la Nature et à lui conférer une identité juridique afin de la protéger. Le mot a déjà été déposé à l’INPI pour des activités restreintes mais demain, sa popularité croissante dérangeant d’immenses intérêts financiers, ne pourrait-il pas tomber entre de mauvaises mains ?
L’appropriation d’un mot tel que « Planète », n’est donc pas seulement inepte mais aussi dangereuse. En favorisant cette tendance, la justice ne ferait qu’attiser l’appétit des puissances, qui ne manqueront pas un jour de vouloir aller toujours plus loin. Nous parlons encore de mots à usage commercial, mais qu’en sera-t-il demain lorsque les citoyens se verront interdire une manifestation en faveur de l’environnement du fait qu’un milliardaire a racheté l’usage dudit mot ? Une entité déposera-t-elle un jour le mot « Dieu » pour prétendre se substituer à lui ? Il ne s’agit pour l’heure que de fiction, mais déjà des situations aberrantes se multiplient, tel Deutsch Telekom AG attaquant toute entreprise utilisant la couleur magenta ou Caterpillar tentant de s’approprier le mot « cat » («chat »). L’usage libre des mots, pourtant, constitue l’un des derniers remparts au délitement de nos sociétés.
Les membres du collectif « Notre Planète à tous » en appellent à la responsabilité du ministère de l’Economie, l’INPI étant un établissement public placé sous sa tutelle, pour mettre un terme à l’appropriation des mots communs et garantir des arbitrages équitables et transparents pour tous. Les politiques et les lois doivent s’attacher à protéger les biens communs pour se mettre au service d’une communauté de destins. Puissent-ils s’inspirer de cette autre pensée d’Edgar Morin : « Réintroduire l’humain dans la planète, c’est le réintroduire aussi dans la vie dont il est issu, dont il fait partie, qui le nourrit, et c’est le réintroduire aussi dans sa destinée concrète, inséparable de la biosphère » Quant à un vieux proverbe indien, il rappelle que « celui qui croit posséder la terre, ne repose-t-il pas un jour sous elle ? »
Collectif « Notre Planète à tous » : Blue Green Planet, Yann Arthus-Bertrand, fondateur de GoodPlanet, Hello Planet, Yolaine de la Bigne, fondatrice de la revue Néoplanète, Planète altruiste, Planète Amazone, Planète en commun, Planète oiseaux, Planet Tiger, Patrick Philippart, fondateur de Planet transition, Run for Planet, 15 million trees for Siberia, Save4planet.com, Planète Zéro Déchet.
Le site Web du collectif : https://notreplaneteatous.org/

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