Pèlerinage à Compostelle (2)

La décision
Ce qui aurait pu n’être qu’une conversation sans lendemain lors d’un rendez-vous dans un bar à la suite d’une rencontre par internet va permettre de se livrer plus intimement, de parler de nos aspirations et préoccupations les plus profondes. C’est le moment de la surprise : alors que, las de vies de couple qui finissaient régulièrement par s’interrompre au bout de quelques années, je ne cherchais plus qu’une relation ami-amant, je m’aperçois qu’il y a dans ce désir de pèleriner bien plus que la recherche d’un but commun, histoire de se donner une chance supplémentaire de faire durer la relation. Cette confidence réciproque va ouvrir la porte à un dialogue qui touche à l’essentiel, que ce soit du point de vue affectif ou religieux. Les différences sont réelles – elle est protestante et mère d’une fille de cinq ans et je suis catholique et déjà grand-père – mais les chemins intérieurs se rencontrent, chacun se sentant – et s’y trouvant très bien – marginal dans sa communauté tout en désirant renouer avec. Ce n’est plus la culture ou la morale – il n’y a rien de plus changeant que la morale, même si c’est à petite vitesse, et les conservateurs s’aperçoivent rarement qu’ils défendent avec le même acharnement ce qu’ils vouaient aux gémonies trente ans plus tôt – bourgeoise qui a phagocyté ma religion qui m’intéresse mais la foi toute nue. À ce propos, je confesse avoir une admiration sans borne pour les missionnaire dans la mesure où dans leur pays d’arrivée ils sont des étrangers aux mœurs exotiques et où, quand ils reviennent en vacances dans leur pays d’origine, ils sont considérés comme des déracinés ayant perdu tout lien avec le contexte local. Il ne leur reste donc plus qu’une seule racine, mais profonde : la foi, fruit de la fréquentation de l’Ecriture. Ceux qui prétendent qu’une foi nue est forcément désincarnée n’ont sans doute pas assez vécu pour se rendre compte de l’indivisibilé entre humanité et animalité, sainteté et incarnation. Quand saint Augustin dit « aime et fais ce que tu veux », il faut être obsédé – à rebours, mais obsédé quand même – pour imaginer que l’auteur des Confessions encourage au libertinage. Par contre, désirer poser le regard de Dieu sur autrui et seulement ensuite discerner quelle est la conduite adéquate à tenir vis-à-vis de telle personne particulière mènera nécessairement à opter pour des comportements  souvent différents de la norme. Certes, ces comportements auront une dimension morale, mais par voie de conséquence seulement et la notion de norme n’étant synonyme que de ce qui se fait majoritairement à une époque donnée dans une société particulière, elle est loin d’être une garantie de bonne pratique dans l’absolu…
Si nos différences d’âge et de milieu me font peur, je suis bien obligé de constater que c’est grâce à elle que je fréquente de nouveau les liturgies alors que je n’allais auparavant dans les églises que quand elles étaient vides de toute personne « bien », et parfois l’adoration, de préférence nocturne pour être sûr de pouvoir être seul en face-à-face et éventuellement Lui parler sans passer pour un fou. Je l’y emmène parfois, dans une chapelle à la décoration si sobre qu’elle ne choque pas sa culture protestante. Elle y voit ce qu’elle y voit et croit ce qu’elle croit, cela ne regarde qu’elle, mais l’expérience m’a déjà montré que dans ce contexte, chacun ressort de là pacifié et en ayant reçu ce dont il avait justement besoin. Parallèlement, nous alternons le dimanche la messe ou le culte, le culte étant malheureusement plus tôt et un peu plus loin… Je me souviens encore du silence familial lorsque je racontais que j’avais fêté deux fois Noël, une fois à l’église protestante et deux heures plus tard à la catholique.
Les différences culturelles qu’il y a entre nous influent aussi indirectement sur la façon de pèleriner. Si je suis favorable à la façon moyenâgeuse qui consistait à se faire accueillir de monastère en monastère, ce qui outre l’aspect économique, favorise aussi l’esprit de retraite, Clara est pour une démarche qui ne nous coupe pas du monde et c’est à son avis que je me range : il n’y a plus assez de monastères le long du parcours et la solution du camping est de loin la plus économique, ce qui va avec une certaine forme d’ascèse, même si elle est involontaire.

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