Théâtre : Jean Piat est mort.

Né pendant les années folles (en 1924) dans une famille catholique modeste, Jean Piat se souvient avoir toujours su qu'il était fait pour le théâtre à travers cette réplique récitée à quatre ans : « Je ne me suis pas dit : je vais faire du théâtre. Mon père m'avait conseillé de faire quelque chose de sérieux, comme fonctionnaire… ». Au lycée Janson de Sailly, il rencontre Alain Decaux qui lui propose de jouer dans Knock avec lui. Il joue au patronage de la paroisse Saint-Ferdinand des Ternes alors qu'il fréquente l’Institution Sainte-Croix de Neuilly avant que ce « cancre », comme il se définissait, n'intègre le Conservatoire national d'art dramatique à vingt ans, dont il se fait expulser deux ans plus tard pour avoir joué dans le film Rouletabille sans autorisation. Qu'importe, il entre un an plus tard (en 1947) à la Comédie-Française, où il reste vingt-cinq ans. Il y joue Cyrano dans Cyrano de Bergerac monté par Jacques Charon 232 fois à partir de février 1964 après avoir tenu, dans la même pièce, les rôles de Bellerose, d'un mousquetaire, d'un second cadet, de Brissaille, du quatrième cadet et de Jodelet. Lors de la première, on compte plus de cinquante rappels. C'est en 1972 que celui qui a transcendé les rôles de Don César (dans Ruy Blas), Alceste (Le Misanthrope) ou Don Quichotte pour ne citer que ceux-là – Robert Hirsh disait par ailleurs de lui que, quand il jouait Knock, « c'était immortel » – éblouit cathodiquement la France entière pour son interprétation de Robert d'Artois dans la série « Les Rois maudits ».

Si le cinéma lui a offert moins de satisfactions (un seul rôle principal dans La Rivale, de Sergio Gobbi), il est régulièrement intervenu pour effectuer des doublages – notamment les voix de Scar dans « le Roi lion », Frollo dans « Le Bossu de Notre-Dame » ou Gandalf dans « Le Seigneur des anneaux » – ce comédien aussi talentueux qu'élégant est aussi narrateur au Puy du fou pour la Cinéscénie (1978), Le Bal des oiseaux fantômes (2003) ou Le Signe du triomphe (2011). C’est comme adaptateur de L’Affrontement que cet homme aux vingt mises en scène et qui est aussi un auteur (Croix, dix siècles d’histoire, prix Georges Goyau ; Les Plumes des paons, prix Broquette Gonin ; Le Dîner de Londres, prix Renaissance des lettres ; Je vous aime bien, Monsieur Guitry, prix Saint-Simon ; Beaumarchais, un intermittent du spectacle, médaille de vermeil de l’Académie française…) reçoit un Molière en 1997. « La joie de jouer n'est comparable à rien d'autre, dit-il, il ne faut jamais s'arrêter. Quand je ne joue pas, j'ai l'impression d'être privé de dessert ou de récréation. ». Mais ce charmeur est aussi un homme de sagesse : en 2017, alors qu'il joue dans Love letters, il confie : « je ne pense pas au prochain rôle, je pense au cimetière… Ce n'est pas triste, c'est une logique. On naît, on vit, on meurt : c'est aussi simple que cela. ». Ce sont ses filles, Dominique et Martine, nées de son mariage avec la comédienne et professeur Françoise Engel, qui ont indiqué dans un communiqué sobre à l'Afp que leur père est mort « à 21 heures, dans sa 94e année » le 18 septembre. Soit à quelques jours de son anniversaire (le 23 septembre) et huit mois après le décès de sa compagne Françoise Dorin, laquelle lui a écrit quelques-uns de ses plus grands rôles après son départ de la Comédie-Française, à commencer par la pièce « Le Tournant », qu'il a joué neuf cents fois.
Pierre FRANÇOIS

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