Théâtre : « Meilleurs alliés », d’Hervé Bentégeat au théâtre du Petit Montparnasse, à Paris.

Caractériels géniaux.
« Meilleurs alliés » est une pièce très bien jouée et instructive. Très bien jouée car on croit aux deux personnages dès leur arrivée sur le plateau. Instructive car elle soulève à l’occasion d’un point d’histoire – la façon dont Churchill voulait faire lire à De Gaulle un message déjà rédigé à la radio dans la suite immédiate de celui du général Eisenhower et comment il menaça de repartir à Alger si ses exigences n’étaient pas satisfaites* – les relations d’estime exaspérées qu’entretenaient les deux hommes.
Les comédiens ont travaillé la ressemblance physique, y compris des intonations, et pourtant jamais on ne tombe dans la caricature. L’ambiance de suspense et de chantage politique permanent y est pour quelque chose.
De la même façon, le réalisme du décor qui va jusqu’à projeter, avec le son, des vols de mouettes ou de Spitfire à travers les vitres de l’abri de Portsmouth où se trouvent les deux hommes renforce la crédibilité du propos sans créer d’exagération.
Il devient vite évident que si la pièce suit le déroulé de ces 72 heures durant lesquelles de Gaulle arracha un peu plus son indépendance, les propos qui sont mis dans la bouche des protagonistes, s’ils sont indiscutablement d’eux, ont dû être prononcés dans des circonstances variées. On y retrouve les emportements de Churchill et le sens de la formule de de Gaulle. Et on sent bien comment le Premier ministre voit dans le chef du gouvernement provisoire une diva intransigeante tandis que ce dernier considère celui-là comme un buveur arrogant. Au surplus artiste et Anglais !
De ce fait, la pièce ne manque pas d’humour. Le public, nombreux car la pièce a déjà eu du succès à Avignon, rit régulièrement. Comment ne pas le faire quand on entend « l’amour est un spasme bref et aussi violent qu’un tir de mitraillette suivi d’un long malentendu » (De Gaulle) ou « le jour où commence la sénilité, c’est quand on oublie de fermer sa braguette et quand elle finit, c’est quand on oublie de l’ouvrir » (Churchill). Car il arrive aux deux hommes de s’offrir une récréation entre leurs affrontements pour le pouvoir en France**. Durant lesquelles aucun sujet n’est tabou : « la guerre, c’est affreux, mais la paix, quel ennui ! » (Churchill).
L’auteur de la pièce, par une habileté supplémentaire, a su dessiner la personnalité des protagonistes en leur empruntant leurs propres mots d’esprit. Ainsi, pour de Gaulle : « le seul révolutionnaire en France, c’est moi », « la droite idéalise le passé et la gauche l’avenir, ce qui fait que personne ne s’occupe du présent », « je n’estime que ceux qui me résistent, malheureusement, je ne les supporte pas », et enfin « la politique, c’est toujours un grand amour déçu ».
Mais il serait injuste d’oublier les souffre-douleur et psy de ces deux caractériels : Anthony Eden, ministre des Affaires étrangères anglais et Viénot, ambassadeur à Londres du gouvernement provisoire de la République française. Ces derniers sont parfaitement campés. Pour eux aussi, on a joué la ressemblance. 
On note par ailleurs que leur jeu, à l’inverse de celui de leurs négriers, est celui de complices qui tentent – et finiront par réussir – de raisonner leurs chefs respectifs sans pratiquer d’opposition directe. Au contraire, il s’agit pour eux de faire comprendre à des ego surdimensionnés qu’ils pourraient accéder à une dimension encore supérieure en faisant quelques concessions, toujours présentées comme indispensables et allant dans les intérêts poursuivis par leurs mentors. Leur jeu est donc de se faire insignifiants tout en étant présents et de manifester la patience nécessaire jusque dans les moments d’urgence. De ce point de vue, si on les remarque peu, c’est justement en raison de la maîtrise exceptionnelle qu’ils ont de leurs rôles. À ce titre, on peut dire que leur talent est équivalent à celui des personnages principaux.
Pierre FRANÇOIS
« Meilleurs alliés », d’Hervé Bentégeat. Avec Pascal Racan, Michel de Warzée, Laurent d’Olce, Denis Bernier. Mise en scène : Jean-Claude Idée. Du mardi au samedi à 21 heures, matinée le samedi à 16 heures au théâtre du Petit Montparnasse, tél. 01 43 22 77 74, métro Edgard Quinet, www.theatremontparnasse.com
*Le message d’Eisenhower annonçant le débarquement fut diffusé le 6 juin à 13 h 30 et celui que le général de Gaulle avait préparé le fut à 18 heures, ce dernier ayant eu l’appui du ministre des Affaires étrangères anglais.
** Churchill étant en l’occurrence le porte parole des Américains.

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