Quelques jours plus tard, Jean et Paul sollicitèrent leur mère à nouveau pour un repas de famille. Celle-ci était moins motivée qu’à l’accoutumé. Elle savait très bien que l’enthousiasme de ses deux fils pour dîner chez leur mère était quelque peu intéressé et n’avait rien à voir avec sa bonne cuisine. Elle les accueillit néanmoins à bras ouverts. Ils attendirent sagement et patiemment le dessert pour poser à nouveau des questions.
« Maman, demanda Paul. Tu nous parlais de sang bleu l’autre fois. Un sang qui vient « du ciel ». Qu’est-ce que cela veut dire ?
— Paul, mon fils, nous avons tous un peu de sang bleu. Le sang bleu des monarques est plus connu car les rois et reines se mélangent seulement entre eux. Ils ont scrupuleusement tenu à conserver ce sang, tel quel, tel qu’il leur a été octroyé, dans les débuts de notre ère.
— Qu’est-ce que cela veut dire, le sang du ciel ? demanda Jean. Quel ciel ?
— Vous croyez que nous vivons dans une bulle ? Vous croyez que nous sommes comme des animaux ? Non. Nous ne sommes pas seuls. Et notre sang, notre sang d’Humanité, est celui d’une espèce très évoluée, rien à voir avec quelques singes qui se baladent de branche en branche.
Ils demeurèrent tous trois silencieux quelques instants. Puis Jean alla rechercher le livre que sa mère avait soigneusement rangé dans la bibliothèque et montra le serpent bleu dessiné sur la couverture.
Tandis que Jean feuilletait les pages de ce livre, couvertes de messages dont il ignorait la signification, Paul relança sa mère :
— Maman tu nous dois des explications. Je ne veux pas mourir idiot.
— Que voulez-vous savoir exactement ?
— Notre sang ! enragea Jean. Le sang de l’Humanité ! Moi je sais que nous sommes plus évolués qu’une meute de singes entassés dans des métros. Mais Paul, lui, a besoin de réponses, et moi non plus, en fait, je ne dis pas non.
La mère murmura :
— Si tout était simple… Je ne voulais pas que vous l’appreniez. J’aurais pu vous l’apprendre plus tôt. Mais savoir, détenir une connaissance, un secret, ça peut rendre vulnérable. Alors que quand on ne sait pas, on est insouciant.
— On est grand, Maman.
La mère des deux jeunes hommes ferma les yeux un instant. Et elle leur dit :
— Ok.
Ils attendirent patiemment la suite. Elle poursuivit :
— Le sang du ciel… Nous croyions, nous avons toujours cru que seuls les oiseaux faisaient du ciel leur territoire. Comme si les avions, comme les tiens, mon cher Paul, ne faisaient qu’emprunter leur lieu de vie. Mais le ciel n’est pas ce que nous croyons. Non, nous ne vivons pas sous un plafond bleu. Et quand nous nous endormons, souvent, nous nous abandonnons sous un ciel étoilé. Un ciel parsemé de lumière, la lumière des étoiles.
Elle interrompit quelque peu son propos. Tous deux étaient tout-à-fait attentifs. Alors, elle continua, en paraissant soulagée de livrer à ses fils quelque chose qui lui pesait depuis toujours. Elle dit :
— La lumière des étoiles… Oui. Nous vivons dans un univers. Un grand univers. Et, dans cet univers, nous sommes tout petits. À la fois menacés et protégés. Car… nous ne sommes pas seuls. Pas du tout.
— Donc… ils existent ? demanda Paul.
Jean jeta un regard interrogateur à son frère. Paul répéta sa question à sa mère :
— Donc, ils existent ?
— Oui, mon fils. Le sang du ciel, c’est ça.
Jean fronça les sourcils et demanda à son frère :
— Eh, oh ! De quoi parles-tu frérot ?
— Je viens de comprendre, répondit Paul. Ils existent bien. Les êtres du ciel. Et ils nous ont créé. C’est évident. Comment ai-je pu l’ignorer autant de temps !
Leur mère sourit et fut soulagée des paroles de son fils. Elle lui dit :
— Je croyais que tu serais celui des deux le plus difficile à convaincre !
— Cela aurait été le cas, il y a peu. Mais il m’est arrivé encore une drôle d’histoire !
— Raconte ! fit Jean, qui ne comprenait pas tout.
— Et bien, j’ai vu un Objet Volant Non Identifié. Un OVNI….
— Tu veux dire que toi, monsieur nous-sommes-les-plus-évolués-de-cette-planète, tu crois maintenant aux extraterrestres ?
— Ce n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est ce que disait maman à propos de nos origines. Elle disait que notre humanité a le sang bleu, car, oui, notre sang à tous, vient du ciel. Savoir ça c’est à la fois une joie, car nous ne sommes plus seuls, nous avons des racines autres que celles de primates… Mais c’est aussi une crainte. Car, nous nous pensions seuls, nous étions en sécurité. Nous croyions avoir fait le tour de la Terre, être les plus intelligents, les plus puissants. Non. C’est fini tout ça.
La mère compléta :
— Malheureusement c’est un peu comme une boîte de Pandore. Admettre cette réalité, c’est se précipiter dans un avenir incertain, très incertain.
— Donc… fit Jean en se creusant les méninges. Donc toi, le rationnel, Paul, tu admets que nous ayons des origines « venant du ciel » ?
— Non seulement je l’admets et, en même temps, je te dis, c’est la seule explication.
La mère dit tout d’un coup :
— Jean, passe-moi ce livre.
Le professeur lui remit l’étrange ouvrage à sa mère. Elle l’ouvrit au hasard et leur dit, comme si elle traduisait oralement son message :
« Nous, êtres du ciel, acceptons, par respect pour nos propres créateurs, de laisser la planète Terre libre, sans interférer à son développement. Nous avons par le passé modifié le destin de certaines de ces créatures. Ils étaient singes. Ils sont à présent « humains ». Humains. Comme nous, les humains du ciel. Bien sûr il leur faudra du temps. Mais il nous faut nous retirer, car les modifier n’était ni notre droit, ni de notre intérêt. Oui. La vie est le plus important. La vie des singes. La vie des humains. Nous ne sommes pas supérieurs et n’avons aucun droit sur les autres espèces ou les autres mondes. C’était le message de nos créateurs et le message que nous vous adressons, aujourd’hui, vous qui êtes à votre tour, des créateurs. Ne cherchez pas de preuves. Nous sommes une évidence, si vous gardez les yeux et le cœur ouverts. »
La mère referma le livre. Ils restèrent tous les trois silencieux un moment. Puis elle leur lança :
— Je crois que tout est dit.
— Donc… Darwin avait tort ? Nous ne sommes pas seulement des singes un peu plus évolués ?
— Ça m’en a tout l’air, Jean. C’était un peu réducteur. Bon, mes enfants, cela fait beaucoup pour un seul soir. Allez-vous reposer. »
— Les deux fils étaient un peu chamboulés. Jean avait toujours cru qu’il y avait autre chose que les humains. Cela aurait été triste, d’être les plus intelligents. Et très décourageant. Tous le constataient tous les jours. Les terriens étaient très limités. En termes de technologie. En termes de communication. En termes de cœur.
— Ces extraterrestres, si Paul les considérait pour le moment comme des pilotes d’ovni, Jean se demandait s’ils n’étaient pas des sources d’inspiration. Il repensa à son cours sur les sumériens, à la petite brune qui se posait des questions…. Les sumériens avaient de grandes connaissances en astronomie. Ils en savaient peut-être plus qu’eux sur les peuples du ciel ? Sur les extraterrestres ?
Jean s’installa à son bureau à l’université, devant son ordinateur. Il fit des recherches sur internet, sur cette ancienne civilisation, installée au Moyen-Orient. Les moteurs de recherches rendaient compte de leur culture. Et aussi de leur religion. Comme il l’avait appris plus tôt, il était dit que ce peuple était polythéiste, il croyait en plusieurs dieux. Le professeur avait l’impression d’oublier quelque chose. Puis il lut un article qui approfondissait cette information :
« Les sumériens croyaient en plusieurs dieux. Leurs mythes rendent compte d’épopées, mêlant dieux et héros. Mais ce n’est pas le plus curieux. Lorsqu’ils parlaient de leurs dieux ils disaient « les êtres qui descendent du ciel sur la Terre ». Ces « dieux » venaient du ciel. Ces « dieux », étaient extraterrestres et ont côtoyé les sumériens de leur vivant. Il ne s’agissait pas uniquement de mythes. Il ne s’agissait pas uniquement de croyances : les deux peuples se sont rencontrés, fréquentés, et mélangés. Et si les sumériens en savaient plus que quiconque sur le ciel, c’est parce qu’ils ont recueilli des connaissances acquises en fréquentant « leurs dieux », ces êtres venant du ciel. Directement, avec eux. »
Jean arrêta là sa lecture. En gros, non seulement l’Humanité ne descendait pas uniquement du singe, mais en plus ses créateurs n’étaient pas abstraits. Si l’espèce humaine de la Terre avait connu ce développement rapide, artificiel, c’était grâce à des créateurs, qui ne s’étaient pas contentés de les modifier : ils s’étaient côtoyés.
Jean était sous le choc. Qu’en était-il aujourd’hui ? Où étaient ces créateurs ?
Comme il l’avait dit à son frère quelques temps plus tôt, les sumériens avaient peut-être affabulé. Les grandes religions, Judaïsme, Christianisme, Islam, n’avaient aucun souci à se faire : de toute façon, cette histoire de création de l’Humanité était subjective. Chacun était libre de croire en ce qu’il voulait. Mais… Paul avait dit avoir aperçu un OVNI… les extraterrestres seraient donc toujours à proximité ?
Jean appela sa mère. Il avait d’autres questions.
« Maman. Tu ne nous as pas tout dit. Tu nous disais que nous descendions d’une famille ancienne. Liée au sang bleu. Qu’est-ce que cela veut dire ? Tu parlais de capacités d’adaptation ?
— Jean, notre famille descend d’une lignée qui a gardé jalousement des capacités venant du ciel. Les monarchies sont les membres les plus connus de cette lignée. Celles-ci ont pris soin de se marier entre elles pour garder ces capacités. Mais tous les membres n’ont pas fait comme les monarchies. Heureusement, nous, moi, toi, Paul, nous descendons de membres de cette lignée qui ont fait le choix de se mélanger avec le reste de la population, qui a elle eut l’heureuse inspiration qu’il fallait s’ouvrir aux autres plutôt que de vivre en caste. Notre famille a compris qu’on ne se développe pas en se coupant des autres, mais en ouvrant son cœur. Ainsi, ces histoires de dieux… tout ça n’est pas important. Tu dois juste comprendre que tout le monde ne pense pas comme toi, n’agit pas comme toi, ne rêve pas des mêmes choses que toi.
— Mais… sont-ils toujours là, ces extraterrestres ?
Il crut deviner le sourire de sa mère au téléphone. Elle lui dit juste :
— Si je te le disais, ce serait uniquement ma propre vérité. Tu es libre. Crois en ce que tu veux. Par-dessus tout, crois en ce qui te libère. »
Jean en savait déjà plus. Il se souvint de ce que lui avait dit son frère : « la religion est l’opium du peuple ». Il comprenait mieux cela. Croire, oui. Être le mouton d’un troupeau, non. Or, dans les religions, les croyants s’en remettaient aux religieux. Les « gardiens du troupeau ». C’était une question de libre arbitre et de pouvoir. Mais il est vrai que s’en remettre à un pouvoir à l’extérieur de soi est parfois plus facile, et plus rassurant.
Le livre que Jean avait trouvé chez sa mère, couvert par le symbole du serpent bleu, restait une énigme. Leur mère l’avait traduit instinctivement devant eux. Mais que contenait-il d’autre ? Ses inscriptions rendaient compte de messages d’extraterrestres. D’extraterrestres qui se considéraient comme des créateurs.
Jean n’avait pas de religion particulière. Sa religion, c’était de croire en lui et de croire en la vie, quoiqu’il arrive. Mais il s’était toujours intéressé aux origines de l’Humanité. Parce qu’il aimait son espèce. Et c’était pour cela qu’il faisait ce métier. Enseigner aux jeunes ce que c’était que la société, ce que c’était de vivre en société, ce qu’était qu’être humain. Les révélations de sa mère changeaient le paradigme autour duquel il avait construit sa vie. À vrai dire, il s’était toujours posé des questions sur la théorie de Darwin. Une évolution basée uniquement sur la loi du plus fort… Jean était sceptique. En observant les humains et les animaux il s’était toujours dit que son espèce avait quelque chose de particulier.
Les animaux sont si intégrés à la nature, alors que les humains la modifient, la détruisent, la transforment. Jean était persuadé que les êtres humains étaient des êtres « pas comme les autres ». Mais, quelles preuves ? Ils vivent, ils naissent, ils meurent… Paul avait vu un Ovni. Autrement, il n’aurait pas accepté de réviser ses croyances. Jean et Paul étaient tellement différents. Et tellement complémentaires.
La mère de Jean et Paul avait élevé ses deux fils dans l’ignorance la plus totale de leurs origines. Elle leur avait dit que tous les humains avaient le sang bleu : leur spécificité par rapport aux autres espèces était ce sang, ces origines si particulières. Cet héritage, venant d’origines célestes, leur conférait des capacités particulières. L’adaptation. Une des capacités les plus importantes, dans la vie de tous les jours, comme dans la survie. Cette mère avait avoué à ses fils qu’ils n’étaient pas comme tous les autres. C’était le cas.
Elle avait soigneusement rangé son livre étrange dans un coin de sa bibliothèque. Elle passa un coup de téléphone :
« Allô ? Oui, c’est pour cela que je vous appelle. Mes fils sont sur la voie. Ils vont comprendre peu à peu des choses qu’ils ignoraient sur le monde. Je demande l’autorisation pour leur livrer la totalité du secret, comme c’est prévu par le programme.
— Vous en avez l’autorisation, répondit une voix grave. »
Photo : LTL