Théâtre : « Monsieur Kaïros », de Fabio Alessandrini au Lucernaire, à Paris.

Qui créateur de qui ?
« Monsieur Kaïros » est une pièce à la fois classique et originale. Donc réussie. Classique, elle se présente avec une fin symétrique à son début, comme une boucle qui se referme. Originale, elle met en présence deux personnages biens réels : un auteur et son personnage. On a tous remarqué comment les bon auteurs parlent de leurs créatures comme de gens dont ils ne font que relater les aventures, retranscrire les émotions et les pensées. Cet aspect de la réalité littéraire est ici montré à son paroxysme. Non seulement la pièce les met l'un en face de l'autre et les force à dialoguer, mais elle montre aussi comment chacun peut avoir une vie indépendante tout en étant lié à son partenaire (d'aucuns pourraient y voir une allégorie du mariage). Comme si l’œuvre littéraire ne rendait visible que des pointillés, des moments de vie du personnage qui, le reste du temps, se trouve en compagnie des autres personnages du roman sans que l'auteur n'en sache rien. Quant à ce dernier, on devine son trouble lorsqu'il se fait raconter – à la première personne ! – les parties de son texte qu'il n'a pas encore transcrites sur fichier informatique.
C'est très bien joué. On y croit du début jusqu'à la fin. Le rythme est bon. Les éclairages sont soignés et pertinents. Pour nous emmener dans ce monde imaginaire, l'auteur recourt à l'artifice du suspense, et cela fonctionne très bien. La mise en scène est aussi sobre que le décor, mais nul sentiment de répétition ne vient distraire le spectateur de cette mise en abyme intellectuelle. C'est d'ailleurs là le point le plus fort de ce spectacle : parvenir à transcrire en émotions une notion au départ intellectuelle (au moins pour les personnes étrangères à l'acte créatif).
Pierre FRANÇOIS
« Monsieur Kaïros », de et mis en scène par Fabio Alessandrini. Avec Yann Colette, Fabio Alessandrini. Assistante à la mise en scène : Sonia Masson, Scénographie et image vidéo : Jean-Pierre Benzekri. Lumières : Jérôme Bertin. Son : Nicolas Coulon. Du mardi au samedi à 21 heures jusqu'au 3 décembre au Paradis du Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-champs, 75006 Paris, tél. 01 45 44 57 34, www.lucernaire.fr

 

Le créateur serviteur de sa créature


La première fois qu'on entend un auteur prétendre qu'il ne fait que suivre les desiderata de son personnage, on se dit qu'on a vraiment affaire à un artiste, autrement dit une personne qui a une araignée au plafond. 
Mais changeons de point de vue. Est-il illogique de penser que notre propre Créateur nous a fait et a fait le monde qui nous entoure afin de satisfaire nos besoins, conscients ou non.
Rappelons au passage que les Pères de l’Église, dans les premiers siècles, avaient coutume de dire que le Christ était venu nous diviniser. Et qu'il est de théologie constante que nous sommes faits à l'image de Celui qui a eu la bonté (l'inconscience, diraient les sceptiques avec ironie) de nous mettre sur son chemin.
Dès lors, qu'y a-t-il d'hétérodoxe à prétendre qu'un artiste – créateur fait à l'image de son Créateur et divinisé par le passage du Christ dans notre monde – écoute les besoins de ses personnages avant d'écrire leur histoire ? La démarche est la même, seul le degré diffère.
À l'inverse, voir l'auteur comme un marionnettiste dont les personnages dépendraient entièrement est une vision matérialiste et cynique de la création. Un bon exemple de ce genre d'auteur est Pierre Louÿs qui dans un texte d'une pureté stylistique sans égal – « Aphrodite » – met en valeur tour à tour tous les personnages de sa pièce pour les ridiculiser d'une pichenette ensuite.

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