Théâtre : « Pyrénées ou le voyage de l’été 1843 », de Victor Hugo au Lucernaire.

Le tournant.
« Pyrénées » est un texte particulier dans l’œuvre et la vie de Victor Hugo, qui ne fut publié que de façon posthume et est présenté pour la première fois au théâtre. Chaque été, Victor Hugo quittait Paris (l'année précédente, vers les bords du Rhin). C'était une façon de se retrouver avec Juliette Drouet – qui est sa maîtresse depuis dix ans, mais n'apparaît jamais dans le récit – et d'écrire un de ces textes alors à la mode, donc sûr d'être publié (il vient d'essuyer un échec avec sa pièce « Les Burgraves ») : le journal de voyage. Comme il souffrait de rhumatismes (il ira aussi à Camoins, près de Marseille), il se donne pour but de prendre les eaux à Cauterets, dans les Pyrénées. Mais par le chemin des écoliers. Il commence en effet par décrire Bordeaux,  Bayonne, Biarritz, Saint Sébastien ou Pampelune avant de revenir en France et de se diriger vers sa station thermale via  Pau. Il ne tient pas pour autant en place, effectuant des excursions à Luz ou Gavarnie.
Disons le tout net : le ton précieux, presque de dandy, pris par le comédien surprend. Pourtant, à l'époque – il n'a que 41 ans – Hugo est loin d'être l'homme tourmenté et sérieux qu'il deviendra très bientôt.
En témoigne le récit, qui mérite mille fois d'être entendu. L'auteur y fait montre d'un style détendu, presque ironique, et y cultive l'autodérision à plaisir. Car s'il fait rire aux dépens de quelques conducteurs de diligence ou de barque, il ne manque pas de se décrire lui-même en des postures prêtant à sourire, ainsi, par exemple lorsqu'il se trouve en montagne sur le dos d'un cheval qui prend plaisir à circuler du côté du précipice. On connaissait par ailleurs son talent de visionnaire en matière de politique, mais il décrit avec une exactitude confondante ce que deviendra Biarritz un siècle plus tard. Et n'oublie pas son aptitude à la polémique, même si c'est à fleuret moucheté qu'il attaque les chemins de fer.
Il captive jusque dans ses descriptions les plus sérieuses (il y en a très peu), telle celle du cirque de Gavarnie. Enfin, cette relation a aussi valeur de document sur sa jeunesse puisqu'il ne cesse, à l'occasion de chaque étape ou presque, d'évoquer les épisodes de sa jeunesse qui lui reviennent en mémoire à cette occasion. Et, là aussi, il ne manque pas de raconter les choses avec légèreté.
La mise en scène est d'une sobriété absolue et l'option a été celle de l'illustration. Il n'est question dans le récit, le concernant, que d'une gourde, d'un calepin et d'une fleur, ce sont donc les seuls accessoires, en plus d'un tabouret qui ne sert pratiquement pas. Pour le reste, le comédien parle – y compris avec ses mains – d'une façon relativement saccadée, qui anime le texte.
Et c'est une voix off qui explique, à la toute fin, pourquoi l'auteur arrêtera son récit avant de l'avoir achevé et comment il ne fut publié que de façon posthume. Désormais et pour dix ans, il va se lancer en politique avant de revenir à l'écriture avec « Les Châtiments » et « Les Contemplations », puis « Les Misérables », « La Légende des siècles » ou « Les Travailleurs de la mer »…
Pierre FRANÇOIS
« Pyrénées ou le voyage de l'été 1843 », de Victor Hugo. Avec Julien Rochefort. Mise en scène et adaptation : Sylvie Blotnikas. Du mardi au samedi à 19 heures jusqu'au 8 octobre au Lucernaire, 53, rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris, tél. 01 45 44 57 34, www.lucernaire.fr

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