Musique : Deux cd – « Faidherbe Street » et « Traversée diatonique » – mais un esprit apparenté.

Que peuvent avoir en commun Sébastien Bertrand et le duo Lillabox ? Le premier est un accordéoniste confirmé qui vient du monde du collectage des musiques traditionnelles, a eu le temps de s'en libérer puis a laissé déborder dans les textes de ses chansons la recherche de ses origines. Le second est un groupe récent composé d'un violoncelliste d'origine classique baroque et d'un guitariste autodidacte, qui travaillent quasi uniquement la mélodie.
Certes, ils sortent un album au même moment (en mai dernier), mais surtout, ils poussent des instruments qu'ils connaissent parfaitement bien au bout de leurs possibilités, allant même jusqu'à les modifier pour en sortir des sons nouveaux, tout en étant à la recherche perpétuelle d'une plus grande simplicité.
Avant d'en arriver à ce point, il faut – explique Mathieu Deranlot – commencer par le connaître par cœur, l'éduquer, être capable de l'habiller ou le déshabiller. Ce n'est qu'après qu'on peut envisager de le modifier pour qu'il corresponde mieux au style de son propriétaire et se marie mieux avec l'instrument de son complice.
Ainsi, Alexandre, de Lillabox, utilise-t-il deux guitares folks acoustiques aux accordages et sons différents qu'il accessoirise avec un archet de viole de gambe ou des capodastres coupés afin de ne pas presser toutes les cordes à la fois. Cela lui permet d'arriver à des tonalités qui lui conviennent et à un positionnement des doigts qui facilite les combinaisons sonores qu'il recherche.
De son côté, Sébastien Bertrand, dans sa recherche d'équilibre tant musical que dans le jeu des mains droites et gauche a-t-il été amené à utiliser deux accordéons diatoniques modifiés pour obtenir plus de possibilités musicales, entre l'ajout de touches pour certains dièses et la modification de quelques anches pour pouvoir donner une note différente en tirant ou en poussant, comme sur les accordéons chromatiques. L'idée directrice étant d'obtenir des graves plus profonds et des harmoniques.
 Et de revenir à l'essentiel. Son retour du Liban en 2005, lorsqu'il était allé voir l'orphelinat d'où il venait, a été une date pour lui tant du point de vue personnel que musical. À la suite de ce voyage, il a donné la priorité à la poésie, même si elle n'habite que son rythme intérieur sans être livrée au public. Il a réduit l'importance de la musique de collectage ou du revival folk qui l'avaient inspiré, s'est ouvert à de nouvelles influences (comme celle du oud), a cherché à entendre la respiration de l'instrument et à organiser des silences. Il veut désormais faire résonner l'instrument de la façon dont il l'entend intérieurement et apprécie, par exemple, la façon dont Gabriel Yacoub mélange les harmonies.
Du côté de Lillabox, c'est Alexandre, le guitariste, qui a inspiré Mathieu, le violoncelliste, au moment où ce dernier éprouvait le besoin de cesser de répéter à l'infini les mêmes morceaux. Du coup, ce dernier a découvert son propre instrument différemment. Et voulu avoir un nouveau dialogue avec son violoncelle tout en étant en phase avec la musique d'Alexandre. Qui a découvert le violoncelle grâce à Mathieu et leur technique commune – à eux comme à Sébastien Bertrand – est d'enregistrer énormément pour ne rien perdre des inspirations spontanées, puis de retravailler ce qui le mérite. Dans le cas de Lillabox, cela se traduit par un jeu fréquent en bœuf avant de restructurer ce qui a été improvisé. Ainsi que des musiques presque uniquement instrumentales, le voyage proposé étant toujours irrationnel et émotionnel. Pour l'album, ils ont collaboré avec un des meilleurs percussionnistes actuels, Youssef Hbeisch.
Sébastien Bertrand, quant à lui, enregistre tout, même quand il est en train de faire des balances pour préparer un concert. Puis réécoute, s'en imprègne et voit si tel ou tel arrangement peut avoir une seconde vie dans un album. Enfin, il compose des chansons qui sont clairement à texte. Sauf dans son dernier album qui est un solo instrumental. On est frappé par la joyeuse mélancolie, la vive méditation qui émanent de sa musique, comme si penser à son passé était léger. Il a atteint la maturité de ceux qui savent faire naître une émotion subtile de façon simple.
Du côté du duo, on sent le souci d'entrelacer les mélodies de chacun. Et même si parfois la forme prend parfois le pas sur l'émotion, on reste pris par ce dialogue qui parvient à dégager un sentiment original, même s'il est un peu appliqué.
Pierre FRANÇOIS
« Faidherbe Street », premier album de Lillabox, Plaza Mayor Distribution EMI UK, tournée au Canada de juin à août 2016, concert au Divan du monde (75, rue des martyrs, 75018 Paris, métro Pigalle ou Abbesses, tél. 01 40 05 06 99) le 15 septembre.
« Traversée diatonique, de Beyrouth à l'île d'Yeu », premier album solo de Sébastien Bertrand, Daqui, Harmonia mundi. Tournée le 22 juillet à « Nuit au Jardin Pougne Hérisson » (79), du 16 au 18 août au festival « Les Traversées de Tatihou » (50), le 27 août au festival « Sous les Halles » à Beauvoir sur Mer (85), le 15 octobre à la « Nuit des Petites Maraîchines » (85) …

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