Musique : Denez, nouvel album – « Denez, an enchanting garden, ul liorzh vurzhudus » – et des concerts à venir.

Douce énergie

Il passe sur KTO le 18 avril dans « Vip »(1), il sera sur France musique le 29 avril dans l'émission spéciale « Couleurs du monde », on l'entendra encore sur RCF et les retours qui ont déjà eu lieu sont excellents. Il, c'est Denez, qui s'exprime comme il chante : simplement et en toute sincérité.

Denez Prigent est comme Céline Dion : un accent terrible et rugueux – ici de Roscoff – en conversation et une voix chaude et prenante en concert. C'est aussi un bretonnant érudit qui se cache derrière des manières de paysan. Et un musicien accompli qui a eu le souci de renouer avec la tradition multiséculaire du chant monodique breton appelé gwerz.

Importée en Bretagne par les bardes gallois – qui ont depuis perdu cette richesse de la même façon que nous avons oublié une partie de notre parler conservé dans la Nouvelle France – au Ve siècle, la gwerz est une sorte de « complainte » de forme incantatoire et arythmique, interprétée à l'origine a cappella. Elle est principalement octosyllabique, comporte souvent de nombreuses fausses répétitions dans les phrases mélodiques et très peu d'écart entre les notes. Le quart de ton y est courant (tout comme dans les musiques orientales actuelles qui ont conservé cette pratique) même s'il a été effacé à partir du moment où les musiques européennes ont été écrites, cette nuance étant difficile à transcrire sur une portée. Un groupe comme l'Ensemble Organum cherche à retrouver les musiques originales et on constate que son répertoire est en bonne partie constitué de chants liturgiques. Ce n'est pas un hasard. Les premiers chants étaient sacrés ou à tout le moins mythologiques, en Orient comme en Occident. Il y a de ce point de vue un cousinage entre la musique orientale et la gwerz.

Il semble bien par contre qu'on puisse parler de filiation entre le grégorien – né en Gaule entre le VIIIe et le IXe siècle(2) – dans la mesure où la gwerz est arrivée sur notre sol dès le Ve siècle et où on remarque que le chant grégorien des origines est, comme elle et la musique orientale, monodique (on entend chaque voix et pourtant elles sont unies)(3) même si la gwerz est plus mélodique. Pour Denez, l'adoption de la forme de la gwerz par le chant sacré chrétien (« kantikoù » ou cantique en langue bretonne) a servi à faciliter l'évangélisation.

La chose ne serait pas étonnante dans la mesure où la gwerz s'apparente à une litanie : le texte en est la partie la plus importante. Il pouvait être très long : le récit de Tristan et Yseult a été emprunté par un trouvère du 12e siècle à une gwerz (la Gwerz de Bran). Or, dans la liturgie des heures, c'est également le texte qui doit être mis en valeur, médité.

Par contre, les thèmes de la gwerz sont plus mélancoliques – c'est une litote – que religieux. Elle sert d'exutoire. Le sujet de la mort est récurrent, qu'il s'agisse de l'histoire tourmentée et sanglante de la Bretagne ou des malheurs de la vie familiale au rang desquels les naufrages ont une bonne part. C'est l'importance du texte qui explique l'arythmie de ce chant : le tempo est celui de l'âme.

Denez s'est appuyé sur cette tradition, oubliée dans les années 70 mais qui heureusement a été transmise oralement sans changement pendant des siècles, pour créer ses propres textes et mélodies. Il s'est entouré de musiciens ouverts à d'autres cultures et instruments mais connaissant la musique bretonne. L'originalité de l'album qu'il sort en ce moment ne tient pas qu'à cette ouverture aux autres influences.

Il est clair pour lui que les arrangements instrumentaux doivent servir le chant et non l'inverse. Le test est simple : on écoute la piste de la partie chantée seule et on voit si elle peut se suffire. C'est, explique-t-il, quand les instruments se mettent ensemble au service du chant qu'ils acquièrent tous une dimension supérieure, et non quand chacun veut faire montre de sa virtuosité.

La troisième originalité tient au fait que cet album(4) purement acoustique a été conçu à l'inverse de ce qui se fait habituellement. Dans la mesure où il reprend des airs qui ont été répétés, rodés et même poli pendant des années en concert, l'enregistrement s'est fait en enregistrant tous les sons sur les mêmes pistes et en employant du matériel analogique des années 70, ce qui sauvegardait l'atmosphère et la spontanéité propres aux concerts, mais avec la qualité de son des micros de haut de gamme : les avantages de la scène sans les inconvénients.

Seule réserve : les bretonnants ont plus de facilité pour discerner la dimension satirique de certains textes notamment ceux des chants à danser (« kan ha diskan »). Mais l'émotion contenue dans les gwerz dépasse les mots, une émotion qui respire globalement un équilibre entre l'énergie et la douceur et qui n'est jamais larmoyante, sur scène comme dans ses albums.

Pierre FRANÇOIS

(1) KTO, « VIP » du 18 avril: émission spéciale Denez, en diffusion à 20h40, en rediffusion 19 avril à 17h05 et 0h25, 20 avril à 10h30, 21 avril à 7h50, 13h15 et 22h50, 25 avril à 8h45.

(2) Cf. article dans France catholique numéro 3027 du 2 juin 2006 sur l'étude du père Jacques-Marie Guilmard, moine de Solesmes, au sujet des origines du chant grégorien, publiée in extenso dans « Ecclesia orans ».

(3) Dans le grégorien actuel, ce sont plusieurs voix qui n'en font qu'une.

(4) Le cd qui est si célébré par la critique en ce moment est : « Denez, an enchanting garden, ul liorzh vurzhudus », chez Coop Breizh. Et on, peut dès maintenant retenir les dates de ses concerts de cet été : 9 août au Festival interceltique de Lorient (56), 13 août aux « Jeudis du Port » de Brest (29), 14 août au Festival du Chant de Marins de Paimpol (22), en décembre à Paris.

Photo : PierreTerrasson

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