Théâtre : « Talking heads II » au Théâtre de l’Épée de bois à Paris.

À l’ombre, par Difouaine
« Femmes avec pédicure » et « Nuits dans les jardins d’Espagne » sont deux des dix monologues de « Talking heads », commande de la BBC à Alan Bennett à la fin des années 80 sur le thème de la femme de la classe moyenne anglaise. Ils ne sont pas présentés successivement et indépendamment l'un de l'autre mais se mêlent tour à tour et occupent chacun la moitié de la scène. 
Qu’ont donc en commun Miss Fozzard, amatrice d’escarpins, et Mrs Horrock, adepte du jardinage ? Ces deux femmes subissent un frère ou un mari auprès duquel elles dépérissent et réussissent à échapper à la monotonie de la vie provinciale par un attachement inhabituel (pédicure coquin ou voisine meurtrière). Elles sont ingénues, restent bienveillantes dans un contexte social étriqué qui condamne les vagues tout en savourant chaque faux-pas croustillant. La violence (meutre) et l’érotisme (fétichisme et soumission) sont suggérés et découverts avec naïveté. C’est une des ficelles du comique de ces deux monologues, un comique grinçant et doux-amer.  
Le bilan de l'auteur sur les relations hommes-femmes est sans équivoque : les épouses sont attachées au bout d’une laisse réelle ou métaphorique, une sœur est méprisée et utilisée, une compagne est assommée (par une lance), l'intimité de l'une est trahie par l'indiscrétion de ses collègues de travail. Comme les plantes dont Mrs Horrock s’occupe avec passion  et   « qui sont censées aimer l’ombre », toutes les femmes de ces deux monologues s'affranchissent enfin de ces chaînes, parfois hélas pour un court moment, dès qu’elles se libèrent des conventions sociales  (« Donnez-leur […]  ne serait-ce qu’un rayon de soleil et vous les verrez s’épanouir »). Mais, contre toute attente, la lumière vient de l'ombre. C'est dans une prison ou un cabinet de pédicure que ces femmes seront enfin elles-mêmes. 
Lorsqu’il dénonce les travers de ses contemporains, Alan Bennett est davantage du côté du mordant de Stephen Frears (dont il était le scénariste pour Prick up your ears) que de la noirceur sociale de Ken Loach. 
J’ai beaucoup apprécié ces  deux « Talking heads » (« Moulin à paroles »), bijou d'humour anticonformiste, l’astucieux entrelacement de la mise en scène, la scénographie des décors à plusieurs fonctions, l’interprétation charmante des deux comédiennes (la sidération comique de Mrs Horrock-Bénédicte Jacquard et la transformation sensuelle de Miss Fozzard-Emmanuelle Rozès).
Difouaine
« Talking heads II » de Alan Bennett. Traduction : Jean-Marie Besset . Mise en scène : Claude Bonin. Avec : Bénédicte Jacquard et Emmanuelle Rozès. Jusqu’au 19 avril 2015, du jeudi au samedi à 20h30, samedi et dimanche à 16h. Représentations scolaires les jeudis 2, 9 et 16 avril 2015 à 14h30. Théâtre de l’Epée de bois (Cartoucherie), route du champ de manœuvre, 75012. Paris. Tél. : 01.48.08.39.74. http://www.epeedebois.com. Métro : Château de Vincennes puis navette gratuite. Le 10 avril 2015, au Théâtre Jean Vilar d’Arcueil (94) à 20h30. Du 6 au 8 mai 2015 au Centre des Bords de Marne du Perreux/Marne (94) à 20h30. Extrait : www.youtube.com/watch?v=rhhfzco9bTA

Photo : Pierre François

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