Musique et théâtre : les Têtes de chien en concert-représentation au Lucernaire

« La Grande ville » des Têtes de chien est un spectacle chanté – souvent a capella, comme c’est leur habitude – plus personnel que le précédent (« Portraits d’hommes ») qui revisitait les airs traditionnels. Cette fois-ci, les comptines populaires de nos régions sont clairement retravaillées et la mise en scène d’Annabelle Stefani est bien plus qu’une suite de déplacements tenant compte des impératifs de la discipline vocale. Le résultat ? Une ambiance aux carrefours de l’onirisme, de la tradition et des métissages contemporains.
Leur signature est sans doute ce hachage du texte qui entretient le suspense – car les paroles sont parfaitement compréhensibles et possèdent une dimension de conte – et suscite une écoute particulièrement attentive.
Mais plutôt que de souligner une fois de plus le talent et l’originalité de ce « quintette a capella contemporain pour chansons traditionnelles », il est temps de donner la parole aux membres de ce groupe (même si le séminariste qui en faisait partie a dû l’abandonner au profit de son ministère).
Pour Justin Bonnet, créateur et directeur artistique de l’ensemble, passé par la maîtrise de Notre-Dame, les dix-sept chansons du spectacle ont un point commun : elles évoquent toutes un Paris qui est plus le désir d’un ailleurs – où l’herbe est plus verte – qu’un lieu géographique. Même si les chanteurs partent toujours du répertoire traditionnel évoquant le « lin à rouir », le roi de France ou une berceuse de Haute-Bretagne ; même si les monodies originelles sont mastiquées et transformées en polyphonies mises en scène, le propos est éternel, donc contemporain : « le désir de fuir, les empêchements au départ, l’ivresse de l’alcool ou de la danse pour trouver une issue au quotidien, le pouvoir de l’argent, la violence du sentiment amoureux, le désir d’écraser le plus faible, l’importance de savoir d’où l’on vient, la fascination mais aussi l’oppression de la ville sur les individus. »
De son côté la metteur en scène explique comment elle travaille par paliers successifs pour créer un lien entre les chansons, entre les personnalités – toutes fortes – des chanteurs et entre les différentes inspirations qui traversent le groupe, ce dernier cocktail étant composé de « Métropolis de poche pour l’univers inquiétant et poétique de la ville, Buster Keaton et les frères Jacques version contemporaine pour le surréalisme et la drôlerie, mais aussi les « tontons flingueurs » dans un rapport viril, tendre et maladroit… »
Un des chanteurs, Philippe Bellet, explique quant à lui l’importance de rendre la dimension dansante des chansons traditionnelles. La mélodie, explique-t-il, est retranscrite telle quelle même si ensuite on la sectionne ou la restructure. Les onomatopées ajoutées sont dictées par le contexte, pour mimer un instrument ou donner la réplique à un chanteur, car il est impossible de laisser des mesures à vide entre deux mots. Parfois, dit-il encore, ils traitent une comptine à l’inverse de sa structure normale, en mettant le texte sur le bourdon et la mélodie dans l’accompagnement.
L’originalité de ce quintette est déjà reconnue et appréciée. Non seulement chacune de leur représentation fait salle comble mais ils donneront – c’est leur prochaine création – un concert de musique traditionnelle sacrée (et réinterprétée par eux) dans le narthex de la basilique de Vézelay le 14 juin prochain.

Pierre François


« La Grande ville », création des Têtes de chien, quintette a capella contemporain pour chansons traditionnelles. Avec Philippe Bellet, Justin Bonnet, Henri Costa, Didier Verdeille, Grégory Veux. Mise en scène : Annabelle Stefani. Le dimanche à 19 h 30 jusqu’au 9 février au Lucernaire, 53, rue Notre-Dame des champs, 75006 Paris, tél. : 01 45 44 57 34. Le 18 janvier au Théâtre de Beaune, le 24 janvier au Carré Bellefeuille de Boulogne Billancourt, le 22 février au Théâtre d’Oyonnax.

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