Théâtre : « Lettre à un jeune poète », de Rainer Maria Rilke au Poche-Montparnasse à Paris.

Don extrême.
Actuellement au Poche-Montparnasse se joue deux jours par semaine « Lettre à un jeune poète », de Rainer Maria Rilke mis en scène par Pierre Fesquet, avec sa voix ainsi que celle de Michael Lonsdale. Des illustrations musicales invitant à l'introspection viennent compléter le don de ce duo.
Car il s'agit bien d'un don. Certes, on peut être attristé de voir ce vieillard de 85 ans perdre peu à peu ses capacités physiques. Pourtant, on a rarement vu autant d'amour, de délicatesse et de tendresse s'enlacer sur une scène. 
D'amour de la part de Michael Lonsdale qui donne tout, et surtout toute sa présence, pour faire passer des messages prophétiques. Il y a un an, c'était celui de Péguy, maintenant c'est au tour de Rainer Maria  Rilke de se trouver servi par lui qui, en tant que croyant, n'a jamais cessé de donner gratuitement, sachant qu'il avait reçu gratuitement. L'auteur de ces lignes n'oublie pas qu'il y a un peu plus de vingt-cinq ans, c'est lui qui dit au photographe bombardé critique dramatique pour le seul fait qu'il fréquentait un groupe de prière pour artistes ce qu'est une bonne critique : « la critique est aisée, l'art est difficile, expliqua-t-il, mais il faut tout dire, sans oublier la manière de le dire ».
De délicatesse de la part de Pierre Fesquet qui, quand vient son tour de déclamer – et avec quel talent, lui aussi, même si on est dans un registre différent – se place régulièrement derrière son maître pour faire revenir les regards sur lui. Attitude rare au théâtre où, si souvent, chacun cherche à capter plus de lumière que son partenaire.
De tendresse de la part des violoncellistes qui tous deux ont des curriculum vitae à faire pâlir et qui pourtant se mettent complètement en retrait, à la fois derrière les comédiens et derrière leur propre musique, invitant le spectateur à passer d'une écoute passive et esthétique à une introspection personnelle à la lumière de ce qui est dit.
C'est vrai, ce spectacle n'est pas techniquement le meilleur. Mais il est un des très rares à offrir autant d'émotion. Laquelle est le fondement même de l'art dramatique. Combien voit-on de pièces sur lesquelles il n'y a rien à dire – et c'est bien leur drame – dans la mesure où il leur manque ce soupçon immatériel qui fait qu'on reste suspendu aux lèvres des comédiens !
La forme de ce spectacle évoque à la fois ce qui est dit dans « Le Chant du cygne » de Tchekhov, dont l'argument est en petite partie – mais si émouvante – repris dans  le monologue de Jean-Gaspard extrait du film de Guitry « Debureau » (1951, visible sur Youtube, yourepeat.com, choualbox.com). 
Mais le fond, lui, est la transmission d'un don précieux – les propos éternels de Rilke expliquant avec tant de délicatesse les critères de discernement d'une vocation littéraire et en quoi consiste la vie d'auteur – en étant soi-même don. Et cela est une forme de perfection, une perfection qui hélas ne peut toucher que ceux qui sont d'abord sensibles du cœur avant de l'être des yeux ou des oreilles. Que tous ceux qui ont reçu cette grâce se précipitent car même si l'amour est éternel, encore faut-il qu'il soit porté par des épaules qui en ont la capacité, lesquelles sont fragiles.
Pierre FRANÇOIS
« Lettre à un jeune poète », de Rainer Maria Rilke mis en scène par Pierre Fesquet. Avec Michael Lonsdale, Pierre Fesquet, Fabrice Bihan ou Emmanuelle Bertrand au violoncelle. Dimanche à 17 h 30, lundi à 19 heures au Théâtre de Poche-Montparnasse, 75, boulevard du Montparnasse, 75006 Paris, tél. 01 45 44 50 21, métro Montparnasse-Bienvenüe, sortie numéro 5, www.theatredepoche-montparnasse.com.

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