Exposition, peinture : Niki de Saint-Phalle au Grand Palais à Paris

La rétrospective de l’œuvre de Marie-Agnès dite Niki de Saint-Phalle (1930-2002) permet de redécouvrir le parcours de l’une des artistes les moins conventionnelles de son temps mais l’une des plus populaires du XXe siècle. De son vivant, elle fut l’une des rares femmes artistes à acquérir une renommée internationale. Elle fut également la première à avoir su utiliser les médias avec efficacité.

La richesse et la complexité de son œuvre restaient à explorer. Cette rétrospective le fait : le visiteur comprend enfin que l’œuvre de Niki de Saint-Phalle ne se réduit pas à ses Nanas. Il prend la mesure de ce qu'elle a osé en son temps. Le parcours compte 175 œuvres. Le premier étage est consacré à ses représentations de l’image féminine,  Nanas comprises. Au rez-de-chaussée, son univers fait référence à l'homme, cible des Tirs, au martyr Saint-Sébastien percé de gros clous. Et la visite se termine sur l’évocation de ses créations monumentales dont celle du Jardin des Tarots, en Toscane, auquel elle a travaillé de 1979 à 1998.
Plasticienne, peintre, sculpteur et réalisatrice de films, Niki de Saint-Phalle a débuté sa carrière comme mannequin et comédienne. Autodidacte, elle s’inspire de Gaudi, Dubuffet et Pollock.
Chacune de ses œuvres possède plusieurs niveaux de lecture. Une première lecture décorative et superficielle enchante le regard. Une seconde lecture plus profonde enchante l’esprit. Voilà qui est particulièrement intéressant à découvrir.
Niki de Saint-Phalle a commencé à peindre en 1952. Elle s’est révélée au grand public en 1961 avec Les Tirs.  Elle tire à la carabine sur des poches de couleur, éclaboussant ainsi des assemblages de plâtre, pour donner naissance à une oeuvre. Elle extériorise ses démons intérieurs.  Les Tirs sont d’ailleurs la représentation d’une violence matérialisée. En tirant sur ces toiles, l’artiste tire sur son père, sur la société, pour se libérer.  « Il existe dans le cœur humain un désir de tout détruire. Détruire, c’est affirmer qu’on existe envers et contre tout. » Sa violence a donné naissance à des œuvres impressionnantes. Elles furent à la fois fondatrices dans l’histoire du happening et particulièrement scandaleuses. Il existe sans doute une puissance subversive, un sentiment de révolte. « J’ai eu la chance de rencontrer l’art parce que j’avais, sur un plan psychique, tout ce qu’il faut pour devenir une terroriste. Au lieu de cela, j’ai utilisé le fusil pour une bonne cause, celle de l’art. »
Pendant près de dix ans, de février 1961 au début des années 1970, Niki de Saint-Phalle va se consacrer à ses Tirs. Ces œuvres sont nourries de questionnements sociétaux et politiques. Elle est l’une des premières artistes à aborder la question raciale, à défendre les droits civiques et le multiculturalisme américain, à traiter aussi bien de la guerre froide que de la guerre d’Algérie. À la fin de sa vie, elle fut l’une des premières à utiliser l’art pour sensibiliser le grand public aux ravages du sida.
Niki de Saint-Phalle explore la représentation artistique du rôle de la femme et réalise des poupées grandeur nature, femmes plantureuses et colorées en grillage, papier mâché et polyester. Ces femmes prennent progressivement consistance et deviennent les Nanas. Leurs couleurs, leur démesure les rendent sympathiques, ludiques… La révélation de son viol par son père à l’âge de  11 ans en 1994 dans son livre Mon Secret permet de mieux comprendre ces Nanas qui ont fait sa renommée.
Les séries successives des Mariées, Accouchements, Déesses puis, après les Nanas, des Mères dévorantes, recréent une véritable mythologie féminine. Le féminisme n’est qu’un élément de sa lutte précoce et constante contre les conventions et les carcans de la pensée. Les œuvres sont impressionnantes mais effrayantes.
Le communisme et le capitalisme ont échoué. Aussi, Niki de Saint-Phalle écrit-elle  : « Pour moi, mes sculptures représentent le monde de la femme amplifié, la folie des grandeurs des femmes, la femme dans le monde d’aujourd’hui, la femme au pouvoir. »

En 1966, elle réalise avec l'aide de Jean Tinguely, qui deviendra son mari en 1971, Hon, une femme de 20 mètres de long sur 10 mètres de haut, couchée sur le dos avec les jambes entrelacées au Moderna Museet de Stockholm. Les visiteurs pénètrent dans la sculpture par l'entrejambe pour y découvrir plusieurs pièces réalisées par l'artiste. Intéressant…

D’autres œuvres naîtront de la collaboration artistique entre Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely  notamment le Cyclop à Milly-la-Forêt, la Fontaine Igor Stravinsky à Paris et le Jardin des Tarots en Toscane.

Le Jardin des Tarots est considérée comme son œuvre majeure. Il a été entièrement financé sur ses deniers, en partie grâce à la vente de ses créations,  parfum, mobilier, bijoux, estampes, livres d’artistes. « J’avais un besoin impératif de prouver qu’une femme pouvait assumer un travail aussi fou et aussi grand… J’étais ensorcelée ». Mais il est d’abord issu du désir d’offrir au visiteur « un lieu métaphysique, un lieu de méditation, un lieu qui réjouisse les yeux et le cœur. » Inspiré par les vingt-deux arcanes du jeu de tarot, il a été réalisé entre 1979 et 1993. Ces « cartes » sont traduites en de très colorées et imposantes sculptures, dont certaines atteignent quinze mètres (et sont habitables), recouvertes de céramiques polychromes, de mosaïques de miroir, de verres précieux, réalisés avec l'aide d'artisans locaux. Les sculptures ont été construites en béton recouvrant une armature métallique soudée à la main. L'artiste ainsi que son mari y ont vécu une longue période et les ont expérimentées.  (sens ?)
Niki de Saint-Phalle est décédée en 2002 des suites d'une maladie respiratoire liée aux vapeurs toxiques inhalées durant la préparation de ses œuvres.

Il faut voir cette exposition car on ne peut qu’être totalement conquis par les divers niveaux d’interprétations possibles. Il y a un monde de l’enfance mais aussi un monde qui se cherche et qui touche aux questions primordiales. Niki de Saint-Phalle est le contraire de la superficialité. Elle a découvert le point d’interrogation et toute sa vie est un questionnement. Cela explique la complicité avec le public qui navigue d’un étage à l’autre. Prenez le temps de pénétrer dans son univers, de vous l’approprier et il deviendra le vôtre !
Dominique Del Boca
Exposition Niki de Saint-Phalle au Grand Palais, jusqu’au 2 février 2015. Galeries nationales du Grand-Palais : 3, avenue du Général Eisenhower, entrée avenue Winston Churchill – Paris 8e. http://www.grandpalais.fr/.
Grand Palais jusqu’au 5 février 2015.

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