Francophonie : « Sans capote ni kalachnikov », de Blaise Ndala, aux éditions Mémoire d’encrier (Montréal)

Écriture francophone.
« Sans capote ni kalachnikov » est l’exemple même du livre francophone. En effet, l’auteur est originaire de République démocratique du Congo (ex-Zaïre), a fait ses études en Belgique et réside au Canada. C’est de là qu’il a d’abord publié  « J’irai danser sur la tombe de Senghor », qui a obtenu le Prix du livre d’Ottawa. Il récidive avec cette histoire triste d’un adolescent soldat qui se raconte. En principe à son journal, mais on est proche de la pensée formulée à haute voix. Au cœur de la République démocratique du Congo, entre les copains, soldats comme lui, l’oncle érudit et l’Occidental dévoué se noue un réseau de relations qui nécessitent parfois le silence. Les choses sont toujours dites, parfois avec passion, toujours avec cette forme de pudeur masculine consistant à trop en dire – mais à côté – pour éviter d’aborder le principal.
Les fausses rimes ne sont pas rares. Le rythme est régulier, sans pitié, et le ton combattant tandis que la richesse du vocabulaire impressionne. Les phrases, longues et balancées, proches de la poésie, illustrent plutôt deux fois qu’une la pensée de l’auteur par des images toujours percutantes. Car le fond, lui, a la violence d’une rafale de baffes (« … par le pseudo-gouvernement d’union nationale. Je parle de gouvernement, je devrais plutôt parler d’une horde de braconniers dansant autour du cadavre chaud de l’État, ce pachyderme qu’ils ont réussi à mettre à terre et dont ils n’ont pas fini de se partager les défenses sous le regard fuyant des passants. »). Ce style, oral et vivant, original,  plonge le lecteur dans l’attente perpétuelle d’une nouvelle expression. 
Il y a d’abord les jeux de mots créatifs, entre « francophilie » et « francofolie » par exemple. Déjà plus politique, le Congo ex-belge devient tout au long du livre la « Cocagnie ». Les proverbes africains  – et c’est pourquoi il s’agit plus d’un ouvrage francophone qu’africain, québécois ou hexagonal – (Qui mange des dattes avec les noyaux fait confiance à son anus, Qui flatte le crocodile peut se baigner tranquille…) y côtoient quelques jurons québécois dans une langue métropolitaine parfaitement maîtrisée. Tout au plus note-t-on parfois l’existence de mots passés de mode en France (couille-molle). Les passages qui témoignent de l’inventivité et de la poésie concrète de l’auteur ne se comptent pas. En voici deux pris au hasard : « Les balles allaient remplacer ballons ronds et stylos à bille, l’heure était venue de tourner le dos aux tirs au but pour s’expliquer par des tirs de barrage » écrit-il pour évoquer l’application de l’état d’urgence. Et, parlant d’un professeur de français : « il lui a appris comment faire l’amour avec la langue de Molière sans se fatiguer dans le lit de la grammaire, la caressant par-ci, la malmenant par-là, la faisant gémir comme une putain des rives de l’Oubangui ».
L’auteur prend la peine d’expliquer le sens des mots rares ou d’origine locale, ainsi apprend-on que le lidamé est un grand amandier. Un seul, pourtant régulièrement utilisé, échappe à cette règle : le coltan, qui est un minerai très recherché dont la caractéristique – d’où son nom – est d’associer colombite et tantalite (« Aujourd’hui, c’est le coltan, l’etin, le diamant, l’or, le cuivre du Congo et bien d’autres ressources qui sont recherchées de tous les riches du monde. » ; Fungula Ngondji, Les Martyres Tata Simon Kimbangu et Patrice E. Lumumba, 2014). Oui, ce livre est vraiment francophone avant d’être d’une nationalité précise et il a l’énorme avantage de familiariser le lecteur avec des expressions qui ne sont pas de son terroir, mais bien choisies de sorte que leur sens demeure complètement explicite. Si par exemple, l’auteur avait glissé dans son texte « Lorsque tu offres un pagne à ta belle-mère, ne lui dis pas que c'est pour couvrir ses fesses », qui aurait compris que cela signifie qu’il ne faut pas irriter une belle-mère sous peine de la voir reprendre sa fille ? Car telle est la conséquence de l’universalité de notre langue : les locuteurs ne connaissent que les expressions employées sous leurs latitudes, quand bien même la même langue est usitée – et enrichie – sous d’autres cieux.
Pierre FRANÇOIS
« Sans capote ni kalachnikov », de Blaise Ndala. Éditions Mémoire d’encrier, Montréal. ISBN 978-2-89712-429-8. www.memoiredencrier.com

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