Festival : « La Semaine extra », jusqu’au 18 avril à Thionville.

Théâtre et transmission.
« La Semaine extra » mérite toujours autant son nom et son succès. C’est un festival théâtral en direction des adolescents qui sait les tirer vers le haut en leur enseignant l’histoire régionale (« Longueur d’ondes ») ou en leur dévoilant un des fondements – et sa plus ou moins grande légitimité selon le contexte dans lequel il est utilisé – de l’activité de comédien (« Les imposteurs »). On n’y trouve pas d’autre concession que d’utiliser parfois les codes ayant cours dans le milieu jeune (« A House in Asia »). Il cultive enfin une dimension de fête avec ses transhumances intrascolaires, ses scènes ouvertes aux jeunes talents ou ses caravanes pizza et crêpes sur le site même du théâtre, en bordure de la Moselle.
« Longueur d’ondes » emprunte le style du kamishibaï, forme de théâtre japonais qui utilise des panneaux coulissants pour évoquer et modifier le décor. La force de ce spectacle, qui raconte l’aventure de Lorraine cœur d’acier, une radio pirate (à l’époque où on ne disait pas encore « libre ») créée par la Cgt et deux journalistes professionnels, est d’avoir pris comme angle unique les enjeux humains de cette aventure alors novatrice. Car ce ne sont pas seulement les forces de l’ordre – ordre dans la rue comme ordre à la maison dans une société où le mot de parité n’existait même pas – qui furent débordées, le syndicat lui-même finit par mettre fin à l’expérience (pourtant couronnée de succès) tant elle était en dehors des normes. Après une minute de flottement, on entre dans le jeu proposé par la metteur en scène et on écoute avec une stupeur mêlée de ravissement les reconstitutions d’entretiens radiophoniques. Certains font preuve d’une prise de conscience nouvelles du fait même qu’on permettait à des personnes auxquelles on ne demandait jamais leur avis de le donner. C’est à la fois un document rare et un beau moment d’émotion.
« Les Imposteurs » est une pièce qui met en scène un homme et une femme qui vont, en s’emparant tour à tour des mêmes répliques, construire de vrais personnages tout en faisant prendre conscience de la distance qui les en sépare personnellement. Ainsi lorsque la mise en scène prévoit que le personnage doit à un moment toucher le spectateur qui est à côté de lui, le comédien le savait à l’avance sans savoir qui serait touché tandis que le personnage vit l’événement au présent sans avoir pu le prévoir. Mais soudain surgit une troisième personne, qui va remettre en cause l’acceptation de cette réalité… Toute cette démonstration est menée par l’exemple et avec un humour parfois très fort(1). Là aussi, passée la surprise des premières secondes (tout le monde est installé en double frontal et on ignore au début qui sont les comédiens et combien il y en a), on entre complètement dans le jeu, si complètement que les adolescents rient à peu près une fois par minute alors qu’on est en train de leur faire comprendre le mystère du mentir vrai qui fait l’essence du théâtre.
« A House in Asia » est techniquement un gros travail, malheureusement sujet à quelques longueurs, à moins d’être un familier des jeux vidéos : toute la pièce est une projection qui imite ce genre. On est malheureusement obligé de faire quelques réserves quant au fond : parce que l’opération visant à tuer Ben Laden portait le nom de Geronimo, la mise en scène met en parallèle le combat contre Al Quaïda et le génocide des Apaches… Il fallait bien que, statistiquement, on puisse trouver une des facettes de cette manifestation qui soit moins brillante que les autres. Heureusement, cela n’enlève rien au mérite des organisateurs ou à l’ambiance particulièrement bon enfant de la manifestation dans son ensemble !
Pierre FRANÇOIS
« La Semaine extra », jusqu’au 18 avril. Renseignements : Le Nest, 15, route de Manom, 57100 Thionville, http://www.semaineextra.com/

(1) On ne résiste pas à l’envie de citer ce dialogue sur la condition des personnes qui font un travail qu’elles aiment : « je n'aime pas cette manière, à chaque fois qu'on me demande : « tu fais quoi dans la vie ? » je réponds : « je lis, je regarde le ciel, je fais mon potager, j'écoute une tempête sous ma couette, je mange une quiche lorraine », voilà ce que je fais dans la vie ! Avant je répondais : « je suis comédienne ». Et les gens s'exclamaient : « mais vous en vivez ? » Alors je me justifiais : « C'est pas facile mais oui je parviens à en vivre ». Aujourd'hui je réponds : « ai-je l'air d'en mourir ? Ai-je l'air d'une morte ? » ça les calme. Cette approche de la vie je ne la supporte plus. Je ne supporte plus de ne pas réagir. Parce qu'ensuite, dans la discussion inévitablement quelqu'un finit par dire : « bon, d'accord vous ne gagnez pas beaucoup d'argent mais au moins vous faites ce que vous aimez ». Avant je répondais : « oui c'est vrai ». Aujourd'hui je dis : « vous pensez que plus on aime son métier moins on doit être payé? Parce qu'on aime ce qu'on fait on devrait en crever ? C'est intéressant. Vous pouvez développer ? » Mais ils ne développent pas, ils s'excusent ou aperçoivent quelqu'un d'autre par-dessus mon épaule, alors moi je les empêche de partir et je développe à leur place : « Non attendez, vous vous rendez compte qu'on est payés pour jouer et raconter des histoires ? On dit des trucs, on prend notre pied et ça nous rapporte des sous. » Tu te rends compte que je suis payée pour te parler ? 170 euros la représentation, ça dure une heure, donc la minute ça fait ? 2 euros 83. Et la seconde ? À peu près 5 centimes. (Elle égrène la phrase en 10 secondes) Là-tu-vois-je-viens-de-me-faire-cin-quante-cen-times. Et, pire que ça : je suis payée pour faire des silences aussi (Silence de 20 secondes durant lequel elle peut réajuster son habit, tirer ses cheveux en arrière pour découvrir ses oreilles, ou autre chose, finir l'éclair de Régis…)  bing, 1 euro. ».

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