Théâtre : « L’Éventail de fer », création de Guoguang Opera Company et Joris Mathieu et Nicolas Boudier en cie de Haut et Court au Théâtre nouvelle génération de Lyon, puis au Silvia Montfort, à Paris.

Tradittore, traduttore ? Pas forcément.
Il est rare de voir en France un opéra chinois de Taïwan. C’est pourtant ce qui se prépare du 2 au 5 octobre au Théâtre Nouvelle Génération de Lyon, puis du 9 au 11 octobre au Théâtre Silvia Monfort, à Paris. Créé en août dernier au Centre national des arts traditionnels de Taipei, à Taïwan, ce spectacle est l’aboutissement de six ans de collaboration entre Joris Mathieu, de la compagnie Haut et court, et des artistes taïwanais. Tout a débuté par une série de conférences qu’il a été amené à donner sur place dans le cadre d’une délégation du ministère de la Culture, les « ateliers Malraux ». Il découvre alors leur opéra traditionnel, bien plus codé que le nôtre – notamment à travers l’utilisation des accessoires – et dont la musique peut au mieux étonner des oreilles occidentales. Heureusement, la version taïwanaise de ce genre laisse une place à l’expression des sentiments à travers celle des visages, ce qui est un point de contact entre cette culture extrême-orientale et la nôtre.
À la suite des discussions qu’il a avec les artistes locaux, et particulièrement la troupe Guoguang Opera Company, il réalise que certains personnages traditionnels ou destins sont devenus anachroniques (l’archétype de la femme vertueuse ou non, par exemple). Par ailleurs, il note que la création culturelle locale se vit à travers deux genres dissociés : la fabrication de films extrêmement virtuels pouvant faire jouer des artistes morts ou des avatars et une pratique de la scène et de la dramaturgie très traditionnelle. Le premier n’a pas de diffusion autre qu’à travers les festivals spécialisés, le second se situe hors de notre temps.
Dans un respect réciproque, la troupe taïwanaise et sa compagnie, notamment son collaborateur chargé des créations lumineuses, cherchent pendant trois ans un terrain qui permette la bonne diffusion d’un spectacle du répertoire connu du public, mais revisité. C’est ainsi qu’ils reprennent ensemble en partie une œuvre du XVIe siècle – « Emprunter un éventail », extrait de « La Pérégrination vers l’ouest » de Wu Cheng’en –, en changeant le prisme de lecture du récit. Au lieu de voir l’épisode à travers les yeux du singe, comme traditionnellement, il est montré du point de vue de la princesse. Cela permet de décrire comment le fait de privilégier les intérêts personnels sur le commun mène à la perpétuation des guerres, ce qui rejoint l’actualité.
Ce procédé est doublé d’un autre : le recours au théâtre optique. Il s’agit d’une pratique déjà ancienne puisque ses origines remontent au théâtre élisabéthain, lorsque l’on disposait un miroir incliné au-dessus de la scène, ce qui permettait de voir les fantômes non pas « en vrai », mais à travers le reflet de personnages se déplaçant dans la fosse. On en retrouve la trace dans les spectacles recourant au praxinoscope à la fin du XIXe siècle, puis, plus près de nous, les rassemblements de Jean-Luc Mélenchon. On voit ainsi, par un jeu d’inversion qui pose la question de savoir ce qui est le plus réel ou légendaire, les personnages traditionnels sur scène et une famille contemporaine venant dialoguer virtuellement avec eux. Par ailleurs, les priorités ont été de respecter le style traditionnel, qui exige un espace vide, et de mettre en valeur la performance chorégraphique et physique à travers un travail soigné des lumières. L’extrait qui est montré sur le site du Théâtre nouvelle génération permet de comprendre comment le fait que le spectacle soit tantôt en français, tantôt en mandarin surtitré en français, ne nuit aucunement à la compréhension tellement il est visuel.
Pierre FRANÇOIS
« L’Éventail de fer », création de Guoguang Opera Company et Joris Mathieu et Nicolas Boudier en cie de Haut et Court.
Du 2 au 5 octobre (les 2 et 3, séances scolaires ; le 4 à 17 heures et le 5 à 16 heures) au Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon, 23, rue de Bourgogne, Lyon 9. Métro D arrêt Valmy ou Gare de Vaise + 5 minutes à pied. Bus 2, 31, C6, C14, arrêt Tissot. Réservations : 04 72 53 15 15 ou billetterie@tng-lyon.fr. Du 9 au 11 octobre (les 9 et 10 à 19 h 30, le 11 à 18 heures) au Théâtre Silvia Monfort, Parc Georges Brassens, 106, rue Brancion, 75015, Paris. Métro : Porte de Vanves ; Tram T3 : Brancion ; Bus 58, 62, 89, 95, 191. Réservations : https://theatresilviamonfort.mapado.com/ ; au 01 56 08 33 88, par courrier (chèque) à Théâtre Silvia Monfort, 106 rue Brancion, 75015 Paris ; ou enfin une heure avant le début d’un spectacle dans la limite des places disponibles.

Photo : Nicolas Boudier.