Musique : le spectacle continue (3).

Toutes ses dates de concert ont été annulées. Pourtant, même confiné, Denez reste paisible. Paradoxalement, plus que quand il prépare un concert : durant les dix jours précédant la date il ne sort plus, pour soigner sa voix et être sûr d’être en forme pour son public mais, cette fois-ci, il n’a pas éprouvé la tension qui l’étreint alors.

Lui qui écrit ses chants – des gwerz* – en breton, il a saisi l’occasion pour se mettre à leur traduction. Non pas seulement des quelques-unes figurant sur ses cd et dont le texte français ne le satisfait pas, mais de toutes, et il y en a cent-quarante. À raison de deux ou trois par semaine – tel est son rythme – il terminerait dans plus d’un an… On espère – pour nous, pour lui – qu’il pourra remonter sur scène avant, tout en trouvant un moyen de poursuivre ce travail qui rend sa poésie accessible au grand public.

Dire que le confinement le nourrit n’est pas exagéré. Il se repaît des lumières, aubes et aurores, couchers et crépuscules, lumières de la nuit aussi – incluant le pinceau du phare de l’île de Batz, quatre éclats groupés toutes les vingt-cinq secondes, à défaut de son feu fixe rouge, invisible depuis la terre – comme de ses promenades dans les chemins creux. Car cette solitude silencieuse est habitée. Le sentiment d’appartenir à un grand tout se fait plus profond, puissant. Sans les bruits habituels, au moindre frémissement, l’imagination s’emballe. L’imagination ? Pas si sûr. C’est tout un monde parallèle, invisible, qui redevient sensible. De la même façon que les bruits des machines faisant avancer les bateaux font fuir les poissons, le silence permet à la nature de manifester sa vie, aux korrigans de revenir. Il se souvient de sa grand-mère, une femme qui avait particulièrement la tête sur les épaules, au point que personne ne se moquait quand elle disait en avoir croisé un. « On a voulu voir la terre comme une chose, explique-t-il, nier la vie de la nature et la relation spirituelle que l’on a avec elle. Aujourd’hui, elle nous alerte et il faudra être plus dur avec ceux qui imposent une vision étriquée et productiviste du monde, sinon la prochaine sera plus terrible encore. Nos responsables se comportent comme les fumeurs qui vont chez le médecin, l’écoutent les prévenir des dangers qu’ils courent et rentrent reprendre leurs habitudes ».

Le confinement a aussi confirmé des choix qu’il avait déjà fait, comme de s’abstenir de viande, d’avoir choisi d’habiter à la campagne ou de privilégier les achats en circuit court. Et il en a profité pour faire dialoguer ses Papoupapipunk, deux personnages de BD créés il y a quatre ans, mais qu’il gardait dans ses tiroirs. Désormais, ils s’expriment sur son profil Facebook à raison d’une bulle par jour sur le thème du moment. Avec une accentuation originale, à la fois tendre et satirique.

Ce que Denez oublie de dire – heureusement qu’il a une attachée de presse – c’est qu’il est aussi en train de travailler sur un cd à sortir dans moins d’un an chez Coop Breizh. Sacré Denez !

Pierre FRANÇOIS

* ballade ou complainte à connotation spirituelle. Selon Donatien Laurent, le genre cultive une « vérité à deux faces – vérité d’expérience et vérité des sentiments – qui est le principe vital de la gwerz ».

Dessins : Denez Prigent.

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