Théâtre : « Berlin 33 », d’après « Histoire d’un Allemand – Souvenirs 1914-1933 » de Sebastian Haffner au Théâtre Jean Vilar de Suresnes.

Stupéfiant !
« Berlin 33 » est un extrait de « Histoire d’un Allemand – Souvenirs 1914-1933 », de Sebastian Haffner. Cet Allemand a fui son pays en 1938 et on suppose qu’il a écrit ses souvenirs vers 1940, lesquels ont été retrouvés dans ses affaires à sa mort, en 1999. Le livre qui les relate est d’un intérêt à la fois historique et psychologique dans la mesure où il montre comment la population, qui n’était majoritairement pas favorable à Hitler (cf les élections de 1932 et 1933), est progressivement anesthésiée puis amenée à composer et enfin à adhérer par conviction ou peur.
René Loyon et son équipe n’ont extrait de ce livre de 350 pages faciles à lire qu’une partie du passage concernant l’année 1933 augmentée de quelques autres permettant de situer le contexte personnel et familial de Sebastian Haffner. Si des coupes ont donc été faites, aucun mot n’a été changé. Au contraire, il a vérifié que certaines expressions qui entraient en résonance directe avec l’actualité (par exemple, le mot de « détail ») étaient bien de la main de l’auteur et non de celle de la traductrice.
Le choix de mise en scène a été celui dit du « théâtre de narration », un genre né en Italie il y a quinze ans lorsque Silvio Berlusconi a fait des coupes drastiques dans le budget de la culture. Il s’agit de mettre un comédien seul face au public avec le minimum de décor (en l’occurrence une table garnie de livres et une chaise) et de lui faire dire un texte. Enfin, le parti pris est celui de la demi-incarnation, le comédien étant à la fois le personnage et lui-même. Cette façon de procéder fonctionne le mieux avec des textes forts, des témoignages empreints d’humanité, même si leur valeur littéraire n’est pas au niveau du contenu (mais tant mieux si elle est au rendez-vous!). René Loyon, qui donne son spectacle dans de « vraies » salles comme La maison des métallos (en avril dernier) ou le Théâtre Jean Vilar de Suresnes (prochainement) l’a aussi donné à la BNF, qui se prête plus à des conférences qu’à du théâtre et est prêt à le présenter dans toutes sortes de lieux (bars, librairies, etc).
Le moins que l’on puisse dire est que pendant toute la durée de sa narration le public reste suspendu à ses lèvres. Le texte est, on l’a déjà dit mais il n’est pas inutile de le souligner, psychologiquement très riche. René Loyon crée une unité parfaite entre gestes, intonations et paroles. Son jeu est sobre et réaliste. Nous sommes dans le salon de  Sebastian Haffner qui se raconte et raconte ce qui se passait alors autour de lui sans affectation, sans condamnation, sans théoriser, comme on raconte une histoire qui nous est arrivée. On est dans un moment intemporel tant le texte nous parle alors pourtant qu’il s’agit d’une page d’Histoire passée. Les effets de lumière et de son participent à cette unité, précédant juste ou soulignant l’émotion contenue dans la parole proférée au moment où ils sont envoyés. Il n’y a aucune fausse note.
Pierre FRANÇOIS
« Berlin 33 », d’après « Histoire d’un Allemand – Souvenirs 1914-1933 » de Sebastian Haffner. Adaptation : René Loyon. Un spectacle conçu par Laurence Campet, Olivia Kryger, René Loyon. Avec René Loyon. Durée : 1 h 20. À partir de 15 ans. Les 18 et 19 novembre au Théâtre Jean Vilar de Suresnes (92), tél. 01 55 53 10 60.

Photo : Nat Hervieux

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *