Certains textes contiennent tout le sens du récit, d'autres évoquent une atmosphère, « La Peau d’Élisa » fait clairement partie de la seconde famille. Pour notre plus grand plaisir dans la mesure où il est très bien interprété.
« La Peau d’Élisa », de la québécoise Carole Fréchette* est une histoire de femme racontée par une femme à des femmes, et cela s'entend aux réactions du public.
À l'âge où la peau commence à se distendre, une femme est assise, seule, dans un café. Elle soliloque et interpelle le public. Elle a besoin d'exister. Surtout, on lui a dit que pour que son épiderme ne se mette pas à se répandre, il fallait écouter les histoires d'amour des autres et les rapporter. Alors elle raconte, elle raconte, tantôt l'histoire d'une femme qui rencontre un homme, tantôt l'inverse, ou deux femmes, peu importe du moment qu'elle peut s'émerveiller et rester complice avec son public.
Cette pièce est à la jonction du spectacle et du conte. Spectacle car elle joue – avec l'air ravi de celle qui vient de faire la rencontre de sa vie – tous ces épisodes qui, chacun, naissent et se développent de façon singulière avant de céder la place au suivant. Conte, car elle implique la salle, interpelle, consulte le public sur l'état de son corps, demande si on veut des détails…
Pris au pied de la lettre, le texte est complètement loufoque. Sauf qu'il rencontre instinctivement la sensibilité féminine, comme si les mots évoquaient autre chose que leur sens littéral : un bonheur, une quête, une inquiétude, une fraîcheur, qui se diffusent dans la salle et sont complètement captés par le public féminin. Une belle pièce et un très beau jeu…
Pierre FRANÇOIS
« La Peau d’Élisa », de Carole Fréchette. Avec Laurence Pollet-Villard. Mise en scène : Véronique Kapoian. Mardi et mercredi à 19 h 15 jusqu'au 30 décembre au Théâtre Michel, 38, rue des Mathurins, 75008 Paris, tel. : 01 42 65 35 02.
* Elle est l'auteur de théâtre canadien le plus connu actuellement, traduite en vingt langues, jouée dans trente pays et a reçu plusieurs distinctions. Pour les membres du jury du Prix Siminovitch (qu'elle a reçu en 2002), elle, « de façon subtile et renversante, fait appel aux aspects profonds du théâtre pour explorer la part de mystère de la vie quotidienne. Ses pièces concilient le connu et l'inconnu, l'accessible et l'exotique, mariage qui est la marque du grand art. ».
Photo : Fabienne Rappeneau.