Théâtre : « Elise ou la vraie vie », à la Manufacture des Abesses, à Paris

Essentiel, par Difouaine

Comme beaucoup d’adolescents des années 80, j’ai lu « Elise ou la vraie vie ». C’était un bon choix de livre, édifiant pour l’enfant favorisée que j’étais. Plutôt exotique. Riche en enseignement en tout cas. L’absurdité du travail à la chaîne, je ne le connaissais que par « Les Temps modernes » de Charlie Chaplin mais sa pénibilité, l’injustice profonde faite aux ouvriers, surtout s’ils étaient étrangers, c’est Claire Etcherelli qui me l’a fait comprendre. Et l’amour qui se noue à Paris entre Elise et Arezki, travailleur algérien, en pleine guerre d’Algérie, cet amour caché, car impensable et condamné par la société de l’époque, m’avait émue et révoltée. 
Ce soir, j’ai retrouvé la même fraîcheur, la même pudeur, la même langue : belle, délicate, rythmée, urgente comme un cri. Eva Castro, qui a adapté, mis en scène et interprète le texte, a choisi de n’en garder que l’histoire d’amour et le travail en usine. J'appouve ce parti pris, le reste du livre est moins dense, plus daté. Les choix de mise en scène, de scénographie et de costumes sont vraiment sobres et percutants, rien n’est gratuit. Là aussi, elle réussit parfaitement à nous tenir concernés : le personnage additionnel de la caissière est une trouvaille. Elle permet de donner un équivalent actuel à l’ouvrière à la chaîne. Le lien entre les deux époques ainsi rapprochées est d’autant plus prenant : si notre époque paraît plus facile matériellement et plus tolérante envers l’étranger, la lutte des classes existe bien toujours et le racisme s’est paré des plumes de la respectabilité. Bienvenue, cette piqûre de rappel !
L’interprétation d’Eva Castro est magnifique et subtile. Toute en retenue, en émotions et en grâce. Elle ne court pas sur la chaîne de montage de voitures, elle danse, elle vole. Dans la scène de rafle et d’interrogatoire, la tension est inouïe. J’ai fini comme un poisson hors de l’eau. Le seul tout petit bémol que j’apporterais à ce formidable seul en scène proviendrait pour moi du léger accent et du physique de la comédienne. Il me semble que cela aurait été encore plus fort si, comme dans le roman, Elise et Arezki s’étaient moins ressemblé. Le seul espoir du livre n’est-il pas de montrer que l’amour surmonte toutes les différences ?
Difouaine
« Elise ou la vraie vie », d’après le roman de Claire Etcherelli (1967). Adaptation, mise en scène et jeu : Eva Castro. Jusqu'au 6 mai 2015, le dimanche à 20h, les lundi et mardi à 19h et le mercredi à 21h à La Manufacture des Abesses, 7, rue Véron, 75018 Paris, tél. : 01.42.33.42.03. www.manufacturedesabesses.com. M° Abesses ou Pigalle. Le 27 novembre 2015, à l’Espace Jean Vilar de Lanester (56).
Photo : Catherine Raynaud

 

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