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Théâtre : Un rapport sur la banalité de l’amour

vendredi 21 juin 2013, par Pierre François


Lorsqu’une pièce parle des relations entre deux génies intellectuels, on se pose toujours la question de savoir si on va assister à un débat d’idées ou à une réelle relation humaine, faite principalement d’émotion et de sensibilité.

« Un rapport sur la banalité de l’amour » [1] n’a pas échappé à cette prévention, s’agissant de la liaison qu’entretint Martin Heiddeger avec son élève Hannah Arendt, de dix-sept ans sa cadette. Autrement dit un Allemand moyennement antisémite – pas plus ni moins que ses concitoyens dans le contexte des années 20 et 30 – avec une juive.

La pièce a été créée dans le pays qui a accueilli cette dernière, les États-Unis. Elle y est jouée pour la première fois en janvier 2009, en Floride. Le succès est immédiat et dès 2010 elle rafle deux prix de la meilleure pièce et est sélectionnée pour deux autres, en Argentine.

Même si l’auteur tient à préciser qu’il s’agit d’une œuvre de fiction, il n’en reste pas moins qu’il a fondé son travail sur une documentation – notamment historique – considérable, sans compter les phrases et expressions qu’il a puisé dans la correspondance des deux amants pour les mettre dans la bouche des comédiens. Rien ne manque à cette pièce, ni le débat d’idée, ni la passion amoureuse (qui fait dire à Hannah Arendt qu’elle a Heiddeger « dans la peau »), ni les contradictions que chacun porte en lui, ni les incompréhensions du à la différence des sexes, ni enfin les tentatives permanentes pour renouer le contact, offrir et demander le pardon, pour préserver cet amour.

Le jeu est tel qu’on croit aux personnages dès la première minute, lesquels sont interprétés avec un réalisme remarquable notamment dans la relation professeur-élève et tout ce qu’elle implique. La scène du premier baiser à la fois désiré et hésitant, emprunt de trouble aussi, est d’une grande vérité. Les lumières sont bien cohérentes avec les contextes illustrés. Les projections sur écran blanc – prévues par l’auteur – ne gênent en aucune façon. La façon dont Heiddeger se laisse tenter par le nazisme est bien rendue, qui met en parallèle un désir de retrouver une dignité nationale et un scepticisme quant au désir de Hitler d’aller jusqu’au bout du programme annoncé dans « Mein Kampf ». Le vieillissement progressif des deux personnages de rencontre en rencontre (cinq entre 1925 et 1950) est parfaitement dosé.

La première leçon que l’on retient de cette pièce est que l’égocentrisme de Heiddeger était tellement immense qu’il le rendait incapable de se mettre à la place de l’autre, ni même de simplement l’entendre. La scène dans laquelle il se plaint de la façon dont il a été traité lorsqu’il a été écarté professionnellement puis lors de son procès en dénazification en face d’une Hannah Arendt qui a dû fuir pour sauver sa vie est exemplaire de ce point de vue. Et la seconde est que même pour des êtres aussi laïques que le furent ces deux amants, c’est l’amour – tout « amoral » qu’il soit – qui donne une raison de vivre alors pourtant que pour eux « la vie n’a aucun sens ». Contradiction certes, mais plutôt réjouissante...

Pierre FRANÇOIS

Notes

[1] « Un rapport sur la banalité de l’amour », de Mario Diament. Adaptation française et mise en scène d’André Nerman. Avec Maïa Guéritte et André Nerman. Du lundi au vendredi à 21 heures, samedi à 16 h 30 au théâtre de La Huchette, 23, rue de La Huchette, Paris 5e, métro Saint-Michel, tél. : 01 43 26 38 99, jusqu’au 10 juillet.


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