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Théâtre : Only connect

dimanche 17 février 2013, par Pierre François


Le monde des relations virtuelles est souvent exploré de façon superficielle. Ici, c’est à une vraie leçon de choses que l’auteur et metteur en scène nous convoque, n’omettant aucune des hypothèses qui conduisent sur les sites de rencontre et rendant parfaitement compte des raisons psychologiques qui y mènent. On passe sans cesse du tragique absolu masculin au rire léger féminin, avec autant de vérité et de complicité dans les deux cas.

En effet, « Only connect » [1] est une pièce moderne, réaliste et très bien jouée. Elle aborde le genre, difficile à mettre en scène, des relations virtuelles via les sites de rencontre et les messageries téléphoniques. Le metteur en scène s’en tire très bien, qui a installé un écran géant au fond de la scène, sur lequel apparaissent les différents sites sur lesquels les personnages sont connectés, éventuellement en même temps qu’ils discutent avec un client, une épouse légitime ou une rencontre. Seul un des personnages utilise l’ordinateur pour être explicitement seul – les autres le sont aussi mais se le cachent derrière une apparence de communication – et tenter d’écrire un texte littéraire à partir de ses expériences amoureuses.

Le décor, disposé de façon quasi symétrique et avec un lit conjugal au centre de la scène, est parlant à lui seul : le but central de ces conversations est la rencontre horizontale et il existe une égalité parfaite entre hommes et femmes, les uns racontant le plus souvent aux autres ce qu’elles ont envie d’entendre, les autres profitant de la loi de l’offre et de la demande de contacts.

La pièce met bien en évidence le fait que les relations par internet sont la plupart du temps des relations de névrose nue à orgueil blessé, sans qu’aucune urbanité ne vienne tempérer ces sentiments à vif. Cela n’empêche pas les personnes d’être généreuses (« – J’ai fait une nouvelle rencontre – Je suis contente pour toi ») en même temps que chacune devient esclave de son ego, peu important la perspective que l’autre inspire en complément du plaisir physique et de la jalousie.

On en vient, pour éprouver le sentiment de se sentir exister, à basculer dans l’histoire qu’on se raconte (« J’ai vu que je ne lui suis pas indifférente, même s’il est très discret », alors que l’autre est en pleine séparation et bilan, complètement centré sur celle qui est partie) ou un mode d’expression hyper sexuel qui permet de satisfaire son refus d’engagement mais sans trouver d’équilibre pour autant. Il y a aussi l’hypothèse plus classique de la femme qui a voulu aider et a de ce fait transmis ses anxiétés à un mari qui ne demandait que cela pour trouver un prétexte à la séparation. Très bien vu aussi, le message téléphonique qui commence par « je crois que je t’aime... » et devient une fois qu’on ouvre complètement la fenêtre du message « mais je me rends compte que je ne peux pas t’offrir ce dont tu as besoin ». Évidemment, le récipiendaire a rompu avec sa femme dès qu’il a lu le début du message, avant d’en lire la suite. Peu importe d’ailleurs puisqu’il est dans cette logique masculine d’échec qui avait déjà été bien montrée par Tchekhov dans Platonov. Les autres personnages masculins sont dans le rêve d’un amour perdu ou, au contraire, la jouissance immédiate de la femme-kleenex que l’on possède (de préférence deux à la fois pour assurer ses arrières) tout en réclamant d’elle une exclusivité.

On le voit, personne n’est épargné par ces portraits psychologiquement crus. Tous ceux qui ont pratiqué les relations virtuelles s’y reconnaîtront, mais sentiront aussi combien ces description sont tendres, car on sent bien que l’auteur et metteur en scène n’oublie jamais que les personnes qu’il décrit sont la plupart du temps en souffrance et toutes profondément humaines, même quand elles ont basculé dans un mode de survie sentimentale à défaut de qualité de vie.

On reste enfin confondu par la façon dont les comédiens parviennent à jouer devant leur écran d’ordinateur les sentiments que leur inspirent la lecture des messages apparaissant sur le fond de scène. Le seul problème pour le spectateur étant de devoir trop souvent choisir entre la lecture du message reçu et la vision du jeu des comédiens, car le rythme est sans faiblesse. Une très belle pièce, tendre et réaliste.

Pierre François

Notes

[1] « Only connect » et et mis en scène par Mitch Hooper. Avec Daniel Berlioux, Anatole de Bodinat, Jade Duviquet, Didier Mérigou, Gaël Rebel, Sophie Vonlanthen. Du mercredi au samedi à 21 h 30 et le dimanche à 17 h 30 du 20 mars au 28 avril au Vingtieme Théâtre, 7, Rue des Plâtrières, Paris XXe, tél. : 01 48 65 97 90.


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