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Art contemporain dans un lieu chargé d’Histoire

jeudi 10 avril 2008, par Pierre François


L’abbaye de Maubuisson est fondée par Blanche de Castille en 1241, après celle de Royaumont en 1228, puis rattaché à l’ordre cistercien en 1244. Le projet naît dès 1236 lorsqu’elle ajoute à son domaine Pontoise et Saint-Ouen-l’Aumône, choisissant un lieu arrosé par un cours d’eau : la Liesse. Au départ pensionnat pour jeune filles nobles, résidence et nécropole royale, elle sert à l’occasion de lieu de réunion politique (Philippe le Bel y prépare l’arrestation des Templiers). Bien dotée et gérée, elle traverse la guerre de Cent Ans. Agrandie au XVIe siècle, elle compte alors cent vingt moniales. Mais elle est pillée lors des guerres de religion. En 1597 Angélique d’Estrée, sœur de Gabrielle d’Estrée, en devient mère-abbesse. C’est Angélique Arnauld, en 1618, qui est chargée de quitter Port Royal et d’aller y réformer les mœurs, à la demande du vicaire général de l’ordre. Il faut l’intervention du Parlement de Paris et que le prévôt de l’Île s’empare des récalcitrants pour qu’elle l’emporte sur Angélique d’Estrée et ses amants. Saint François de Sales vient parfois y rendre visite à Angélique Arnauld. Sa remplaçante, Madame de Soisson n’est pas réputée suivre avec autant de soin la règle monastique. Mais elle meurt en 1627 et, sur proposition de la Mère Angélique Arnauld, c’est la sœur Marie des Anges qui lui succède et y affronte alors une tentative de conversion au molinisme [1]. C’est au cours du XVIIIe siècle que l’abbaye meurt, faute de recrutement. Elle est fermée par Louis XVI en 1786. Hôpital militaire en 1793, puis carrière de pierres, filature et enfin ferme, elle est classée monument historique en 1947 et rachetée par le Conseil général du Val d’Oise en 1977. Après dix ans de fouilles et de restauration, elle rouvre ses portes en 1987. C’est en 2001 et 2002 que le Conseil Général valide un projet de programmation exclusivement dédiée aux arts visuels et plastiques contemporains.

L’esprit de la création contemporaine à Maubuisson est non pas de demander à l’artiste de s’inspirer du lieu pour créer mais d’utiliser le lieu pour y accueillir un acte de création issu de son propre univers, qui s’y expose ensuite.

Jusqu’en septembre, on peut y voir les œuvres de François Daireaux [2], artiste sans autre curriculum vitæ que l’énoncé de ses expositions passées. Difficile de se faire une idée de son moyen d’expression de prédilection ou le détail de sa démarche dans la mesure où, comme certains chanteurs qui se retranchent derrière leurs musiques quand on leur demande ce qui les anime, il explique avec constance qu’il n’y a pas grand-chose à dire sur ses œuvres et qu’il en dit déjà trop en disant cela.

Il livre quand même que sa démarche est d’humilité, de se questionner et de questionner autrui sur la place de l’artiste. Dans cette logique il a déjà fait fouler une œuvre par le public à l’Artothèque de Caen et il récidive ici en offrant en lieu et place du paillasson d’entrée une de ses sculptures en silicone aléatoirement sculpté à l’air comprimé et dont la couleur va changer, histoire de souligner le caractère éphémère de la vie.

Il est clair que quand on a dans la tête la définition de l’œuvre d’art comme étant « 1 % d’inspiration et 99 % de transpiration » longuement préméditée, on est quelque peu étonné de le voir exposer aux yeux du spectateur 28 œuvres d’autrui en face desquelles il offre comme participation personnelle, censée entrer en dialogue avec ces dernières, une vidéo du modèle commun à tous ces bustes, qui pourrait aisément être remplacée par une photo d’identité agrandie tant elle est statique. Autant dire que pour apprécier cette exposition, il faut impérativement être prêt à sortir des cadres traditionnels de la compréhension de l’art.

À ce prix, on peut apprécier la saveur d’une démarche qui lorsqu’elle ne s’interroge pas sur elle-même, s’offre comme coup de projecteur pointé vers des merveilles qui n’ont pas besoin d’être retravaillées ou transformées pour être belles. Car il est un fait certain que François Daigneaux a un œil sûr. On s’en aperçoit dans les 79 clips vidéos de 20 minutes qui tournent ensemble dans la (fraîche) grange aux Dîmes. Il avait déjà entamé cette démarche à Yvetot en 2004 – 2006 et expliquait alors : « J’entreprends des voyages dans différentes cultures pour y rencontrer l’activité humaine la plus traditionnellement méprisée qui contient l’humanité de l’homme. Je cadre serré les gestes répétitifs de travailleurs manuels. Je gagne "la" vie en accumulant les gestes et en traçant une suite en ligne de fuite. C’est un voyage aléatoire commencé dans mon atelier, à partir de ma propre activité, sans fin.". Aujourd’hui, il enregistre à la fois son et image sans prévenir, sans demander de poser, sans repentir ni montage. Le résultat est la mise en valeur des mains travailleuses (il enregistre des artisans ou cultivateurs, mais se refuse à enregistrer la répétition des gestes en usine). Faisant cela, il fait devenir le spectateur aussi observateur que lui, et s’en émerveiller. Sa démarche est la même lorsqu’il expose des photos, qui sont l’enregistrement de beautés naturelles ou de fait. On regrette simplement que cette option aboutisse à masquer sa propre personnalité artistique au nom de la mise en valeur de ce qu’il voit lors de ses périples.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] (À l’origine d’un des plus grands débats théologique de tous les temps, la doctrine du jésuite espagnol Molina (1535 – 1600) avance, pour concilier la liberté de l’homme avec la grâce de Dieu, que « l’homme se détermine librement à ses actes, bons ou mauvais, la grâce de Dieu inclinant le libre arbitre sans le contraindre ; et Dieu concourt à la réalisation des actes dont il sait, dans sa science moyenne, qu’ils seront librement choisis par la volonté de l’homme. L’action de Dieu atteint tout ce qu’il y a de bon dans l’acte de l’homme, mais non ce qu’il peut y avoir de mauvais, et qui n’est qu’une privation d’être » (Dictionnaire de la foi chrétienne, Les mots, p. 483)

[2] « Goodbye », exposition de François Daireaux à l’abbaye de Maubuisson, Saint-Ouen-l’Aumône, jusqu’au 1er septembre. Tél. : 01 34 64 36 10. Accès : par le train, gare du Nord (ou RER C) direction pontoise, arrêt « gare de Saint-Ouen-l’Aumône et 10 minutes à pied rue Guy-Sourcis ; depuis Cergy en bus 56, 57, 58 ou 34 sud, arrêt mairie de Saint-Ouen-l’Aumône et 10 mn à pied ; en voiture depuis Paris autoroute A15 sortie n° 7 « ‘Saint-Ouen-l’Aumône » ; en voiture depuis Rouen ou Cergy autoroute A 15 sortie n° 8 « Eragny-le-Village ». Ouvert t.l.j. sauf mardi de 13 heures à 18 heures et le samedi-dimanche de 14 heures à 18 heures ; Entrée gtratuite pour les moins de 25 ans et titulaires du « Passe Culture », adultes : 3,80 €, plus de 60 ans : 3 : €. Tél. : 01 34 64 36 10. abbaye.maubuisson@valdoise.fr


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