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Théâtre et exégèse : tous gagnants

samedi 31 mars 2007, par Pierre François


Devant mettre en scène un texte dont la seule contrainte était qu’il ne soit pas de théâtre, le directeur de la Comédie de Sait Etienne avait pris le livre de Marie Balmary : la divine origine. Le spectacle tourne maintenant depuis plus de cinq ans…

Cherchez la faute [1] est une pièce aussi originale que réussie. Originale, elle l’est doublement. Quant au fond d’abord : il s’agit d’un commentaire biblique des récits de la Création à partir du livre La divine origine de Marie Balmary [2], qui s’appuie sur la traduction de Chouraqui. Et nous voilà plongé au cœur de questions, thèses ou mises au point tel que les spécialistes peuvent les soulever ou défendre, avec cette sensibilité personnelle qui influe sur les conclusions auxquelles chacun arrive. On assiste réellement à un débat exégétique dans tout ce qu’il a de passionnant sous l’angle intellectuel, et de strict sous celui de la méthode. Celle utilisée ici consiste à interroger tous les mots et à les mettre en relation pour trouver la définition des notions qu’ils illustrent. Ou plutôt les différents sens possibles, dans la mesure où la recherche scripturaire n’est pas en l’occurrence prise comme celle d’un absolu , d’une essence, mais comme une ouverture de pistes.

Et ce n’est pas s’intéresser au sexe des anges, prétendument objet de Concile [3] que de se passionner sur le fait de la disparition des sujets souverains (donc à l’image de Dieu) dès lors que leurs relations les chosifie au lieu de se nouer sur la foi, la confiance. Il est par ailleurs anecdotique, mais révélateur des perches que le monde consumériste tend vers le sacré qu’il nie, d’apprendre que le tétragramme peut se prononcer… Yahoo ou HM.

Tout cela prend pour point de départ la notion de faute originelle, de son absence de sens moral en hébreu et de l’absence tout court du mot dans les récits de la création.

Ces spéculations sont illustrées de façon parfois très concrète. Si j’offre un appartement à mes enfants, ce n’est pas pour mettre au milieu du salon une bombe à retardement, dit l’une en parlant de l’arbre du jardin d’Eden. Tel autre observe que si les animaux sont créés ex-nihilo avant d’être nommés, tel n’est pas le cas de la femme, dont la séparation d’avec l’homme crée relation et désir. Ce bouillonnement dure plus d’une heure, durant laquelle on tente de mémoriser les raisonnements aussi vite qu’ils sont énoncés, tout en admirant le talent de ces faux conférenciers.

Car la seconde originalité de la pièce est d’être conçue pour quatre comédiens et quarante figurants, lesquels sont constitués par… le public. Tout aussi talentueux, d’ailleurs, qui tourne la tête à l’unisson vers celui qui intervient, qui compulse les documents mis à sa disposition, et dont aucune expression de dédain ne voile le visage.

Au milieu de ces spectateurs-acteurs, chacun des comédiens sert avec naturel son sketch avant de laisser le suivant lui prendre, lui arracher parfois, le relais. Cela commence avec des personnages bien cadrés. M. Loyal, le réactionnaire, l’interrogatrice et celui qui réfléchit à haute voix débattent d’abord depuis leurs places. Et peu à peu, au fur et à mesure que le public s’habitue à son rôle, les comédiens s’animent, se lèvent, arpentent les rangs, tandis que leur personnalités d’origine se diluent pour laisser émerger un magma réflexif commun.

Il est à noter que la participation demandée au spectateur n’est pas gênante dans la mesure où il lui est toujours loisible, avec facilité, de passer de l’identification au rôle à la distance d’avec les personnages. Il est rare néanmoins qu’un spectateur réagisse quand arrive la phrase rituelle dans ce genre de réunion : quelqu’un a-t-il une question à poser ? Par contre, beaucoup restent après le salut, pour la table ronde qui suit. Tellement longtemps qu’il faut leur demander d’aller poursuivre leurs échanges au bar, pour que les éclairagistes puissent aller se coucher… On est doublement heureux : de voir un spectacle de qualité, et de voir combien la société civile peut se passionner pour des thèmes habituellement abordés entre spécialistes.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] Cherchez la faute, adapté de "La divine origine", de M. Balmary par F. Rancillac. Avec D. Chinsky, D. Kenigsberg, F. Rancillac, F. Révérend. Du mardi au dimanche jusqu’au 7 avril au théâtre Paris-Villette.M° : Pte de Pantin. Tél. : 01 40 03 72 23

[2] Selon le père Michel Berder, directeur de la Section de Théologie Biblique et Systématique à l’Institut catholique de Paris, l’auteure est une personne très fiable qui a collaboré avec des biblistes reconnus, et les points qu’elle soulève sont intéressants, même s’il garde ses distances avec l’une ou l’autre de ses conclusions.

[3] sans que quiconque puisse dire lequel et quand. Et il n’y en eut pas à Constantinople, ni lors de son sac par la quatrième croisade de 1204 ni lors de sa chute aux mains des Ottomans en 1453.


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