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Festival off d’avignon : le finistere, invisible mais bien là

dimanche 2 septembre 2007, par Pierre François


Certains prétendent que, dans l’ordre du vice, il y a l’omission, le mensonge, le satané mensonge et enfin… la statistique. Ils n’ont pas toujours tort. La région Bretagne est créditée au festival d’Avignon de quatre troupes (des Côtes d’Armor et d’Île et Vilaine, dont une amateur) sur les 866 présentes. Elle est pourtant plus présente que cela, soit par l’intermédiaire de bretons exilés soit par celui de troupes en train de s’installer sur ce sol de fin du monde.

Yves Gourmelon est un bon représentant de ces exilés pèlerins qui reviennent régulièrement au pays. Quimpérois parti au Havre à l’âge de dix ans, il apprend le théâtre à la rue Blanche, avec Mesguich, dans la foulée de 68. Puis se lance dans l’agriculture au Larzac. C’est dans les années 80 qu’il raccroche avec le théâtre, et avec succès : il est successivement directeur de deux salles, dont une nationale à St Jean de Vedas, près de Montpellier. Aujourd’hui, il conjugue l’art dramatique avec celui des installations et donne priorité aux textes se prêtant à une telle mise en scène. Tout en revenant régulièrement à Camaret, berceau de sa famille.

Pour Michel Jestin « avec un j », précise-t-il, l’exil remonte à deux générations. C’est le grand-père, originaire de Brest, qui ayant un temps travaillé comme mousse sur les terre-neuvas, choisit de chercher meilleure fortune à Paris lorsqu’il se marie avec une femme de La Guerche de Bretagne. On est entre les deux guerres. Il reste chauffeur de taxi parisien toute sa vie, tout en résidant à Bagneux, à cause de la proximité entre cette commune et Montparnasse. Michel Jestin se souvient d’avoir circulé dans sa voiture, comparable à celles de Londres, avec strapontin et vitre de séparation entre le chauffeur et les clients. Son père fait la connaissance d’une bourguignonne et Michel aurait pu être coupé de ses racines bretonnes s’il n’avait découvert l’océan, à l’adolescence. Un temps marié à une bretonne de St Méen le grand, il fait alors connaissance avec l’autre magie du pays de ses ancêtres. Mais c’est la mer qui le revivifie. Aujourd’hui installé à l’année à Dijon comme électron libre au service de la diffusion de la culture en milieu rural, et régulièrement à Avignon, il ne peut plus se priver du retour à l’océan, que ce soit à Brest ou Saint Malo, entre trois et cinq fois par an. C’est par lui que la compagnie « La Rigole » a pu venir à Avignon.

Elles sont trois filles d’une vingtaine d’années. La chef de bande, Sophie, est de Montpellier, la seconde, Lucie, de Paris, et la plus jeune, Marie, a grandi à Saint Pabu, avec de la famille à Morgat. Les deux premières, en cours de théâtre, ont transmis au jour le jour leur science à la benjamine, qui avait pour formation sa fréquentation de la « jeune troupe » au patronage laïc du Pilier rouge, alors qu’elle était lycéenne à l’Harteloire, entre 2001 et 2002.
La suite tient non pas du succès facile mais d’une persévérance qui paye. En juillet 2005, Sophie d’Orgeval obtient de Wadji Mouawad les droits pour adapter « Incendies ». En août, elle rassemble autour d’elle les deux autres comédiennes. En septembre, elle commence l’écriture de son adaptation. En octobre, elle trouve une compagnie pour les accueillir, et dont la structure va les aider : « Le Zébu francophone ». Les répétitions s’étalent de novembre 2005 à mai 2006. Evidemment, en même temps, chacune des complices a prospecté dans sa région d’origine pour trouver des lieux de tournée. De sorte qu’aussitôt après la première, le 20 mai 2006 à Paris, le groupe part tourner d’abord à Montpellier, Pezenas et Perpignan, puis en Bretagne. Et du 20 au 30 juillet 2006 elles sont au « Caravansérail » de Brest, dans un restaurant du Conquet ou à la salle « Ty Skoll » de Morgat. Lors du passage dans ce dernier lieu, l’attaque d’Israël vient de se produire et ce qui était perçu encore une semaine avant comme une pièce africaine devient proche orientale. Au départ, l’intention de l’adaptatrice était simplement de mettre l’accent sur l’humanité des personnages là où Wadji Mouawad crée une véritable saga. Et afin qu’il n’y ait pas de confusion, elle a changé le titre pour « La vie autour du couteau ».
Mais l’histoire de cette pièce ne s’arrête pas là. Ravies par l’accueil dont elles ont été l’objet en 2006, et après avoir donné quelques représentations dans le cadre du festival interculturel de l’Université de Montréal en février 2007, la compagnie « La Rigole » met en place une nouvelle tournée en Bretagne, plus importante, pour cet été. Mais en juin, « Le Zébu francophone » leur apprend qu’il y a une rumeur selon laquelle la chambre des Notaires du Vaucluse organise une programmation dans des conditions financières très avantageuses pour les artistes. Aussitôt, les trois filles décident de reporter la tournée à l’automne, casser leur tirelire et venir.
Sur place, elles jouent dans des conditions de fortune, mais ce n’est pas ce qui importe. Elles savent que, programmées à la dernière minute, elles n’ont que des chances infimes de vendre leur spectacle. Par contre, le fait de participer au festival « off » d’Avignon les frotte aux professionnels et elles considèrent qu’elles ont pris là de l’expérience de façon accélérée.
Aujourd’hui, elles se réjouissent de ce que leur tournée en Bretagne ne débute que lorsque « Le Caravansérail », devenu flottant, ouvrira de nouveau ses portes : cela leur donnera l’occasion de se présenter mieux à un public qu’elles ont désormais l’intention de choyer puisque, vraiment séduite par l’accueil de l’an dernier, la compagnie a décidé d’installer son siège social à Brest dès que possible.
Ce choix procède à la fois du coup de cœur de la troupe et de la passion de Marie pour ses racines. En effet, il ne lui a pas été indifférent de jouer à « Ty Skoll », salle voisine de l’endroit qu’elle considère comme le plus beau du monde : le sentier côtier qui va du bois du Kador au cap de la Chèvre. Elles y rejoueront d’ailleurs cet automne.

Pierre FRANCOIS


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