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Année Vauban : une foi tolérante et prudente

samedi 1er septembre 2007, par Pierre François


Bien malin qui pourrait dire la vie de foi d’un homme à trois siècles d’intervalle. Une exégèse de sa correspondance peut néanmoins permettre de dégager quelques pistes, même s’il faut garder à l’esprit le contexte de l’Ancien Régime : L’Église est une institution sociale autant que religieuse

La religion de Vauban se soucie parfois plus de politique que de spiritualité. Il parle de l’intérêt de la « chrétienté » en abordant la question d’une paix à négocier, ou du fait que « le seul tribunal de l’Inquisition peut empêcher absolument cette redoutable transmigration » (des français vers l’Espagne). Et son exclamation « Dieu nous sauve Cadix ! » Semble appartenir au même registre.

Enfin, lucide, il relève que « Ne voilà-t-il pas un joli prélat ? » au sujet d’un évêque indigne mais conclut « le caractère dont il est revêtu intéresse tous ceux de la robe à le protéger ».

Il ne tolère pas l’hypocrisie, même parée de religion « Les dames, les unes font les dévotes et le sont effectivement quoiqu’en petit nombre, les autres le font et ne le sont guère, celles-ci sont nombreuses ; mais toutes veulent qu’on les croie telles parce que c’est la mode et toutes savent fort mauvais gré aux jeunes d’être ce qu’elles sont. Pour les jeunes, elles font tout ce que leurs mères faisaient quand elles étaient de leur âge [illisible] et je crois en dire assez. ». Assez, car tout Vauban qu’il est, il manie là de la dynamite, en pleine querelle du quiétisme, dont la princesse Palatine dit : « tout cela est ambition pure, l’on ne pense presque plus à la religion, il n’en reste plus que le nom ». Est-ce alors par hasard que ce passage soit largement raturé et annoté de la main de Vauban ?

Parfois, spiritualité et politique se conjuguent. Dieu semble pour lui être agissant (« Il n’appartient qu’à Dieu de produire des œuvres parfaites dès la première fois, les hommes n’y parviendront jamais »), il peut suggérer une pensée (« il faut que ces gens là soient inspirés d’en-haut ou… fous »), la providence existe (« si Dieu ne nous regarde avec cet œil de miséricorde qui nous a tant de fois tiré d’affaire, je ne sais ce que nous deviendrons… »).

Sa foi est domestique : « Je ne désire qu[’]… une retraite honorable pour avoir le temps de me préparer à faire mon paquet et à mourir chrétiennement et en homme de bien ». Il préfère reconnaître par testament cinq descendants incertains plutôt que de « hasarder le salut de mon âme pour cela ». En 1703, il souligne « Au nom de Dieu » pour tenter d’apaiser une querelle familiale, à un âge où « les affaires de ce monde-ci nous doivent désormais peu embarrasser ». Enfin, « il est grand homme de bien et sincèrement dévôt. » est le plus grand compliment qu’il puisse faire. Ne dirions nous pas aujourd’hui « homme de foi moralement irréprochable » ?

Cette foi, il voudrait la transmettre. Dans « Les idées de l’éducation que je voudrais donner à mes petits enfants », il note en premier « leur apprendre par préférence la religion, à connaître Dieu et le prier soir et matin » et, plus tard : « lire deux fois l’Ecriture sainte, les Evangiles, les Actes des apôtres, la bibliothèque des auteurs ecclésiastiques. ».

Mais que lui prend-il d’écrire en 1704 « Je suis un aussi bon catholique qu’un autre ; mais je vous avoue que, dans une conjoncture comme celle-ci, je n’hésiterais point de laisser aux malheureux des Cévennes le libre exercice de leur religion. » ? Soudain prudent, il ajoute « Mais comme la haute capacité de Sa Majesté l’a jugé autrement, il faut bien qu’elle pense plus juste que je ne fais ». La politique de la révocation de l’édit de Nantes était : avantages aux convertis, galères pour les autres. Dès 1680 Seignelay, secrétaire d’Etat à la marine qui lui avait demandé un dessigneur pour le Canada, écrit aux intendants des ports de mer : « Sa Majesté m’ordonne de vous dire qu’elle a résolu d’ôter petit à petit du corps de la marine tous ceux de la religion prétendue réformée... ». De son côté Louvois : « Le roi disposera des emplois des officiers qui n’auront pas fait abjuration dans un mois. Les derniers ne jouiront pas de la pension que Sa Majesté accorde aux nouveaux convertis. ». De fait, on ne recense comme officier protestant de haut rang que Turenne, Duquesne et Schomberg. Dans le contexte de querelle d’ambitions sous couvert de religion rapporté par la Princesse Palatine, dont l’Eglise tirait profit sans en être l’origine et dans laquelle Mme de Maintenon était moins impliquée qu’on a voulu le croire, les coups pouvaient venir de n’importe où. S’étonne-t-on alors que par ailleurs l’inventaire de sa bibliothèque porte la mention « brûlé » en face des titres trop compromettants [1]

Mais il y a un point sur lequel il se rapproche des protestants : l’exigence d’une religion authentique. Dès 1671, il écrit à Louvois : « Je vous supplie, Monseigneur, de nous donner un chapelain à la citadelle, qui soit homme de bien et capable de prêche… l’aumônier de M. le maréchal s’est emparé de ce caractère ; mais… n’est pas soupçonné de la plus grande dévotion du monde ; or il me serait plus facile de compatir avec le diable qu’avec un méchant prêtre. ».

Alors, son mémoire sur l’avantage qu’il y aurait à laisser les huguenots revenir en France n’est-il effectivement fondé que sur des considérations économiques ou bien Vauban a-t-il jugé trop dangereux de dévoiler ses batteries ? Cela restera le secret de sa vie intérieure.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] Sont notés comme « brûlés » : « Traité de la Providence », « Apologie pour les vrais tolérants » et « La Foi réduite à ses justes bornes ». De la même façon « les Provinciales » de Pascal sont rayées tandis que subsistent quand même un hymne à la tolérance : « Tombeau du socinianisme auquel on ajoute le nouveau » et le janséniste « Esprit de Gerson ».


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