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Théâtre : Sadique ? Non : humain

dimanche 26 novembre 2006, par Pierre François


C’est un Kafka inattendu qui est révélé au Lucernaire, un Kafka dont l’absurdité n’est pas un système mais la conséquence de comportement humains…

La colonie pénitentiaire [1] est une pièce très réussie. Sur scène, pour seul décor, une table avec sa lampe et sa chaise à cour, un fauteuil flanqué d’un guéridon surmonté d’un broc et sa vasque en faïence assortis, avec la serviette suspendue, à jardin.

Sans qu’il en parle, on sent déjà que l’homme impeccable qui rédige son rapport dans un style militaro-lyrique est un perfectionniste. Pas forcément extrémiste par ailleurs, plutôt conservateur et nostalgique de l’autorité à un point pathologique.

A quoi dédie-t-il son désir de si bien faire ? A la discipline et à la façon de la faire respecter. En effet, le thème de l’œuvre de Kafka est l’exécution d’un prisonnier, à laquelle doit assister un invité.

Les scrupules de cet homme ne le poussent pas à révéler au prisonnier qu’il est condamné, ni pourquoi. Mais à se désoler de ce que la machine compliquée mise au point par le précédent chef de camp manque de pièces de rechange, de sorte qu’elle grince un peu. On est pas éloigné du burlesque ou du cocasse.

Mais avec une dominante d’imbécile et inconsciente cruauté : si on ne dit pas le motif de sa peine au martyr, c’est parce qu’il va être directement écrit dans sa chair par la machine qui, munie de stylets, tatoue la sentence toujours plus profondément, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

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Photo Emile Zeizig

Le même comédien joue tous les personnages, y compris celui du narrateur. Et on croit complètement à chacune des interprétations, de la passion contenue de l’exécuteur à la neutralité du conteur, sans délai de latence entre les interruptions. On est pris par le récit, on va même jusqu’à rire devant une telle montagne d’absurdité, en même temps qu’une prise de conscience se fait.

André Salzet a déjà interprété avec succès Le joueur d’échec : mille représentations sur la France, dont deux périodes de reprises à Paris). Avec La colonie pénitentiaire, il voulait continuer à faire vivre la littérature. Il a fait mieux, en instillant chez le spectateur les sentiments que Kafka lui même voulait révéler en lui. Les directeurs de salle ne s’y sont pas trompés, qui ont déjà retenu ce spectacle pour Digne les bains, Vannes, Muret, Ris-Orangis et Saint Dié des Vosges.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] La colonie pénitentiaire, de Franz Kafka, trad. A. Vialatte, adapt. Yves Kerboul. Avec André Salzat mis en scène par Laurent Caruana. Du mardi au samedi à 18h 30, le dimanche à 17h jusqu’au 7 janvier au théâtre du Lucernaire, 53 rue N.D. des Champs, 75 006 Paris, M° : N.-D. des champs, Raspail. Tél. : 01 45 44 57 34. A Digne les bains le 25 janvier, Vannes les 31 janvier et 1er février, Muret le 8 février, Ris-Orangis le 10 mars et Saint Dié des Vosges le 13 mars.


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