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Théâtre : Pouvoir et contre-feux

lundi 14 mai 2007, par Pierre François


Décrivant la société soviétique à une époque précise, cette pièce touche à l’universel, et c’est peu de dire qu’elle fait rire…

Le Mandat est certes une pièce politique, mais intemporelle et plus consacré à l’âme humaine qu’aux idéologies auxquelles elle adhère. Situons le contexte : sept ans après la révolution bolchevique la fille d’une famille tsariste se voit promise au fils d’un propriétaire de même conviction – qui a encore de l’argent à dépenser alors que tout lui a été confisqué dès le premier jour – à condition qu’en dot elle apporte… un parent communiste.

Cette farce a été écrite en 1924 par un jeune russe de 24 ans, Nikolaï Erdman. Six ans plus tard, il écrit, dans la même veine, Le Suicidé. Mais Staline, alors au pouvoir, envoie un courrier à Stanislavsky qui voulait la mettre en scène, fait arrêter Erdman le 11 octobre 1933 et fusiller Meyerhold (qui l’a montée) pour trotskysme en 1940. De retour d’exil, Erdman n’écrira plus que des œuvres inintéressantes. Son tort a été de voir tous les hommes égaux devant son rire « insolent » [1].

De fait, Le Mandat [2] est une farce burlesque et irrésistible, dont le comique fonctionne à la façon d’une boule de neige : on part d’une situation loufoque ne concernant que deux personnes pour arriver à une déflagration rendant ridicule deux familles et leurs relations.

On va de rebondissements en rebondissements avec joie, entraîné autant par le jeu des comédiens que par l’illustration qu’en font les musiciens, laquelle ajoute un zeste de music-hall à ce spectacle qui puise aussi dans le genre cabaretier.

Car on ne sait plus comment qualifier cette pièce : farce, cabaret, music-hall, vaudeville, clown, il y a de tout cela pour donner vie au génie lucide et décapant d’Erdman, lequel, finalement, ne s’intéresse qu’aux caractères permanents de l’âme. Alors, oui cette pièce est politique : elle décrit avec « insolence » la petite politique si humaine qui avait déjà cours à la cour de Cypsélos de Corinthe ou de Denys de Syracuse, et qui n’est pas près de cesser.

Le jeu des comédiens est homogène dans l’excellence, la salle rit deux fois par minute, les spectateurs les plus épuisés restent éveillés tant les répliques relancent sans cesse le rire : et si j’étais mort noyé dans ces nouilles aboie le voisin que le bruit a fait sursauter, tandis que le frère se demande comment quelqu’un peu demander la main de sa sœur sans l’avoir vue avant de se dire que c’est peut-être mieux ainsi, ou qu’un ancien propriétaire, qui chaque matin demande à son fils de regarder par la fenêtre pour voir si le pouvoir soviétique n’a pas pris fin dans la nuit, voit le travail comme un obstacle au gain. Si le rire est bon pour la santé, alors cette pièce devrait être remboursée par la sécurité sociale.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] terme par lequel Staline désigna son œuvre

[2] Le Mandat, comédie (démence soviético-tsariste) de Nikolaï Erdman, mise en scène par Stéphane Douret. Avec Claire Nadeau, Gwendal Anglade, Romain Cottard, Olivia Dalric, Julie Jacovella, Paul Jeanson, Yves Jégo, Françoise Lépine, Agnès Ramy, Antoine Rosenfeld. Ainsi que le groupe musical Pat Brapad Moujika : Mathieu Boccaren (accordéon), Adrien Chevalier (violon), David Fischer (alto), Fred Fruchart (contrebasse), William Pigache (percussions). Au théâtre 13, 103A, boulevard Auguste Blanqui, Paris-13e, M° : Glacière. Le mardi, mercredi et vendredi à 20 h 30, jeudi et samedi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30. Places à 22 €, TR : 15 €, le 13 de chaque mois : 13 €. Audio description pour non voyants les jeudis et dimanches jusqu’au 27 mai. Tél. : 01 45 88 62 22.


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