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Theâtre : La guerre à la guerre

jeudi 14 décembre 2006, par Pierre François


Il ne faut pas s’y tromper : sous couvert d’exposer des faits, Goldoni plaide pour la paix, une paix qui nécessite sans doute que nous cherchions à devenir plus sensibles et intelligents.

La guerre [1] comme sujet de spectacle, voilà qui étonne. Plus encore quand on s’aperçoit que l’auteur n’est autre que Goldoni (1707 – 1793), connu pour avoir fait évoluer la farce de la commedia dell’ arte vers la comédie de caractère. Et la stupéfaction est à son comble lorsqu’on s’aperçoit que le texte n’a pas pris une ride et que la mise en scène, volontairement intemporelle, est la plus vraie qui soit.

En effet le message délivré par auteur et interprètes est d’une actualité frappante. Pourtant la pièce est de circonstance : elle fut écrite en 1760, pour le carnaval de Venise, alors que la guerre -littéraire– faisait rage entre Gozzi (partisan de la traditionnelle commedia dell’ arte) et lui-même.

Par ailleurs, la pièce arrive à un moment où Venise cherche à éviter les conflits sur tous les fronts. Á ce dernier titre, elle est doublement une bombe. D’une part, elle traite d’un sujet hautement actuel et politique, de l’autre elle semble démontrer que l’état de guerre est préférable à celui de paix.

Car toute l’ironie de la pièce est là : on s’accommode plus facilement de la guerre que de la paix. En état de guerre, tout est simple : on s’enrichit sans risque, on perd au jeu sans penser à l’assaut, on aime sans penser à la mort, on meurt sans égard pour les sentiment. Et tout cela est régulé par une codification aussi précise que binaire. Même les « négociations » se font sur ce mode du oui ou non, sans nuance entre la mise à mort ou l’acceptation comme gendre d’un soldat du camp ennemi.

Seules les femmes sentimentales n’y trouvent pas leur compte. Prostituées et arrivistes parviennent à tirer, au moins temporairement, leur épingle du jeu, car il n’y a pas en ce monde de meilleur mariage que celui de l’argent avec l’argent. Quant aux soldats, la paix les anéantit tous sans exception, alors que le champ de bataille restitue quelques survivants.

La pièce nous plonge plus dans une situation -celle où la folie de la guerre s’allie avec la folie de l’amour– que dans les sentiments des personnages. Le contexte et celui de la guerre en tant que telle, sans époque et de toutes les époques. Est–ce à dire que les personnages n’ont pas de personnalité ? Non : le cynique ne l’est pas totalement, ni la rêveuse. Car les personnages demeurent humains. Mais ils incarnent aussi les mécanismes, y compris psychologiques, qui se font jour dans un tel environnement. Si cette pièce était un dessin, elle serait une vue en écorché.

Dans une époque qui chosifie l’être humain ainsi que l’amour, ce spectacle pose la question essentielle : qu’est ce que l’humanité ? L’actualité du texte et la mise en scène qui mêlent costumes ou accessoires d’époque et contemporains soulignent la permanence de notre nature. Pourtant, le message est d’espoir. Entre brutes et putes d’un côté, naïfs et niaises de l’autre, un chemin zigzaguant est proposé, combinaison équilibrée entre toutes ces tendances. Car on peut commencer par aimer sans aimer, tout en croyant aimer bien entendu, puis mûrir. Grâce aux femmes. C’est le germe que Goldoni sème en nous, in fine.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] La Guerre, de Carlo Goldoni, trad. M.-F. Sidet. Avec Clémentine Pons, Paméla Ravassard, Karina Testa, Renaud Garnier, Raphaël Grillo, Jean-François Kopf, Laurent Labruyère, Sébastien Libessart, Cyril Manetta ; mis en scène par Henri Dalem. Du me. au sa. à 21h, di. à 15h (suppl. les 12/12 à 18h et 31/ 12 à 21h) jusqu’au 13 janvier 2007. Au Théâtre Mouffertard, 73 rue Mouffetard, 75005 Paris (M° Monge). Places à 22 €. Tél. 01 43 31 11 99


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