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Théâtre : Faux roman, vraie pièce

samedi 28 avril 2007, par Pierre François


Voir la colonisation racontée sans manichéisme et dans un français d’anthologie par un auteur ivoirien, voilà ce que nous propose Monnè, outrages et défis [1].

Il s’agit d’un roman du francophone ivoirien Ahmadou Kourouma (Togobala, 1927 – Lyon, 2003). Ce malinké y décrit, sous un pagne dissimulant à peine l’authenticité des faits, la collaboration entre rois nègres et colons français, durant un siècle. Car, explique-t-il [2], on ne peut pas prendre un personnage réel et le mettre tel quel dans un roman, il fut ajouter certains éléments, en retirer d’autres. Le roman vous impose certaines règles.

L’auteur a lui même vécu la dernière partie de l’époque qu’il décrit. Et a le mérite de proposer une vision équilibrée de la colonisation, montrant par exemple le complexe commun de supériorité dont les deux parties souffraient.

S’agissant des administrateurs blancs qui peuplent son roman, il précise Journault, je l’ai connu, il était le commandant de mon village, et c’est un peu grâce à lui que je suis allé à l’école. Hérault était un instituteur venu de Grenoble, c’est grâce à lui que je suis allé au collège [3].

Ce souci d’équilibre a compté pour Stéphanie Loïc, metteuse en scène, au moment de choisir un nouveau texte africain à monter, après Sozaboy. De même que la langue de Kourouma, dont elle dit qu’elle est d’une grande beauté… coule dans la bouche des acteurs… est comme un poème… est une langue recherchée, précise et, en même temps, pittoresque, lyrique et pleine d’humour. C’est pourquoi, respectueuse du texte, elle l’a certes coupé mais jamais modifié, même sous couvert d’adaptation.

Photo Eric Legrand On ne peut que l’en remercier.Car s’il est vrai que cette pièce est plus proche du récit à trois voix que du texte théâtral dialogué habituel, il n’en est pas moins d’une beauté impressionnante. Les comédiens qui le servent ont chacun leur personnage – le chef coutumier, le blanc, l’interprète autochtone – mais aussi leur mode d’expression : plutôt musical pour celui-ci, hiératique et cassant pour celui-là, fleuri et religieux pour le roi. Éclairage et musique sont en totale symbiose avec l’atmosphère d’humanité violente qu’exhale le plateau. On voit combien deux mondes sont sans point commun. Comment les obsessions sacrificielles du chef et de confort pour le colon ne pouvaient se rencontrer qu’à travers une relation de domination. L’interprète qui traduisait à sa guise les propos de son roi, pour éviter le bain de sang, était-il vraiment traître à son peuple ? Quelles ressemblance et différences y avait-il entre la collaboration des chefs coutumiers avec le colon et celle des vychiste avec l’occupant ? Voilà quelques-unes des questions qui viennent à l’esprit à l’issue d’une représentation qui, par ailleurs, a pleinement donné satisfaction aux sens.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] Monnè, outrages et défis, de Ahmadou Kourouma. Adapté par Stéphanie Loïk, metteuse en scène. Avec Hassane Kassi Kouyaté, Phil Deguil, D’ de Kabal. Musique (belle, rythmée, efficace) de Jacques Labarrière, lumières (en totale symbiose avec l’atmosphère générale) de Gilles Bouscarle. Au Théâtre de Vidy-Lausanne du 1er au 24 mai, puis en tournée dans la francophonie.

[2] in Notre Librairie n°103, oct-déc 1990.

[3] ibidem


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