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Theâtre : Dignité contre barbarie, mémoire contre oubli

dimanche 26 novembre 2006, par Pierre François


A Ravensbrück déjà Geneviève de Gaulle fait preuve de la générosité qui la fera connaître plus tard. Consciente de devoir son traitement à son nom, elle se soucie de ses compagnes d’infortune comme de transmettre aux générations futures la notion de la dignité, vainqueur de toutes les barbaries.

Il y a des textes de pièce qui surprennent. La traversé de la nuit [1], de Geneviève de Gaulle Anthonioz, en est. Pourquoi avoir choisi une autobiographie qui n’a jamais été pensée pour la scène ? Comment la monter alors que les ayants-droit n’ont autorisé sa représentation qu’à condition de ne pas y changer un iota ?

Esmeralda Kroy, la comédienne, explique qu’en lisant cet ouvrage, elle a vécu une rencontre. Qui a abouti au désir de transmettre ce qu’elle avait ressenti, et de faire comprendre ce qui avait été vécu, consciente qu’elle était de ne pouvoir faire vivre l’événement. Ce faisant, elle veut lutter contre l’oubli et responsabiliser le public. Tout en le respectant autant que le texte : « je ne démontre rien, je ne prouve rien », dit-elle.

L’obligation de se conformer à l’oeuvre originaire lui a posé « tellement de contraintes qu’on était obligé d’aller à l’essentiel ». C’est à dire « respecter au plus près la vérité dans toute son horreur », et se refuser tout effet théâtral. L’option première de la mise en scène a donc été celle de la sobriété. « On ne se met pas en valeur sur un texte comme celui-là, sur un Molière oui, mais pas sur ça », dit-elle. C’est au point qu’elle a refusé qu’on distingue son visage sur l’affiche.

Les déportées survivantes sont venues voir le spectacle. Et Esmeralda Kroy de raconter comment nombre d’entre elles sont revenues, comment d’aucunes riaient à certains moment, comment les relations entre la comédienne et l’une ou l’autre sont allées jusqu’à la complicité. Comment enfin toutes ont été heureuses de voir quelqu’un dire ce qu’elles ne pouvaient raconter à leur entourage, même le plus immédiat.

De fait, en allant voir la pièce, on repère quelques places réservées et de belles femmes de 80 ans s’y installer, bien droites (« on a l’impression qu’elles sont plus fortes que la vie », disait E. Kroy en entretien). On s’aperçoit que la sobriété annoncée est au rendez-vous sur la scène. Et que le texte est mis en valeur par un dialogue entre les répliques données sur le plateau et une voix hors champ. Le procédé est très efficace, et on se lasse d’autant moins que le jeu de la comédienne touche. Elle qui avait l’ambition de n’être qu’une voix au service du texte et de l’émotion qui la traverse y parvient parfaitement. On est bien dans l’exercice de mémoire, aucun jugement ne vient troubler la réceptivité qui s’installe, même lorsque Geneviève de Gaulle Anthonioz explique devoir rechercher son reste d’énergie dans la foi ou attribue les soins dont elle bénéficie à son nom.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] La traversée de la nuit, de Geneviève de Gaulle Anthonioz. Avec Esmeralda Croy mise en scène par Cesare Capitani. Du me. au sa. À 20h 30, di. À 17h 30. Espace G. Bernanos, 4 rue du Havre, 75 009, M° St Lazare, RER Auber (sortie Gds magasins). Tél. : 01 48 78 28 15.


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