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Théâtre : Claudel américain

mardi 23 janvier 2007, par Pierre François


Évoquant clairement l’univers américain, cette mise en scène somptueuse restitue les éternels enjeux et la poésie de L’Échange.

Lorsque Claudel écrit L’Échange [1] en 1893, il est jeune consul suppléant à New-York. Et il enracine sa pièce dans la société qu’il observe alors. Il écrit, le 20 avril 1900 : le sujet de l’Échange… est le suivant : l’esclavage où je me trouvais en Amérique m’était très pénible, et je me suis peint sous les traits d’un jeune gaillard qui vend sa femme pour recouvrer sa liberté. J’ai fait du désir perfide et multiforme de la liberté une actrice américaine, en lui opposant l’épouse légitime en qui j’ai voulu incarner la « passion de servir ». L’esclavage marque donc et l’auteur et la société américaine et ses personnages. Laine, artiste conscient d’avoir du sang d’indien dans les veines, est esclave de son désir de liberté. Thomas Pollock Nageoire, qui a construit sa fortune comme on joue au poker menteur, est esclave de son argent au point de dire que tout a un poids et une mesure, tout vaut… tant de dollars. Lechy Elbernon, sa femme comédienne, est esclave du désir tout court et de son pouvoir de séduction. Quant à Marthe, constante et jalouse mais aussi fidèle et victime, elle est esclave de sa volonté de servir.

Il n’est donc pas incongru que Sarah Sanders fasse interpréter Marthe – une paysanne française que Louis a enlevée lors de son séjour en Europe, selon le résumé de la pièce paru au Mercure de France en 1964 – par une africaine noire. Et paradoxalement, cet enracinement encore plus prononcé dans la culture nord-américaine rend la pièce actuelle au lieu de la dater.

La problématique de la contagion de la pureté qui amène à la sérénité, par opposition à la ruine morale à laquelle conduit la solitude superbe est préservée. Ainsi que celle sur la différence entre conquête et altruisme ou la mise en évidence de la solitude des naufragés de l’amour.

Tache noire au milieu d’un décor et de comédiens blancs, Marthe focalise l’attention. Cela tombe bien car elle est la locomotive de cette pièce. Tout aussi expressive mais avec un peu moins de nuances, Léchy est également convaincante. Mais si les rôles masculins le sont c’est parce que, dans la vie réelle aussi, les fils d’Adam sont moins fins que leurs compagnes. Ceci étant dit, il ne faudrait pas se priver d’une pièce aux éclairages et à la mise en scène sobres, discrets et somptueux tout à la fois. Sans compter que la poésie de Claudel est mise en valeur de façon naturelle, ce qui n’est pas une mince affaire.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] L’Échange, de Paul Claudel (1ère version).Avec Vincent Byrd Le Sage, Laurence Février, Jean-François Prévand, Martine Maximin. Mise en scène de Sarah Sanders ; lumières : Maro Avrabou. Du mercredi au samedi à 21 h 30, le dimanche à 17 h 30 jusqu’au 25 février.au Vingtième théâtre, 7, rue des plâtrières, Paris-20ème, M° : Ménilmontant, Gambetta (sortie pl. Martin Nadeau). Tél. : 01 43 66 01 13.


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