holybuzz
Accueil du site > Art et Culture > Théâtre : L’illusion de la passion

Théâtre : L’illusion de la passion

vendredi 20 octobre 2006, par Pierre François


Une passion cachée qu’on croyait éteinte et qui se rallume, une féminité qui éprouve son pouvoir attractif, l’expérience des uns inutile aux autres, chacun plus perspicace sur autrui que sur soi, un mari irréfléchi, le cocktail est prêt, et il explose avec art.

La famille d’après Strindberg est elle si différentes de n’importe quelle autre ? Il semble bien que non si on en juge par la pièce « Jouer avec le feu » (1) qui se donne en ce moment au théâtre de l’Essaïon. Le thème est le même que celui de « Mademoiselle Julie » et a bien des rapports avec le premier mariage de l’auteur. Faut-il dire que c’est ce dernier, dont les aspirations fusionnelles avec les femmes ne pouvaient être que déçues, qui est spécialement misogyne ?

Nombreux sont pourtant ceux qui lui ont reconnu une rare connaissance de l’hypocrisie de sa société vis à vis des sexes et de la moralité. Il n’empêche : pour lui le féminisme ne pouvait être conçu que comme un point particulier d’un problème social plus grand tandis qu’Ibsen se posait en champion de la cause des femmes.

Mais Strindberg a aussi joué le rôle de caisse de résonance entre des pensées aussi différentes que celles de Kierkegaard, Nietsche ou Freud. Le côté très psychologique de son théâtre est en lien avec son adhésion à l’expressionnisme, cette « formule nouvelle du théâtre compris comme Vision symbolique, qui a fait de la scène, non plus un espace à trois dimensions, mais une sorte d’écran sur lequel le poète fait défiler des rêves et des apparitions tout intérieures, émanations de son moi le plus profond. » (2).

De ce point de vue la pièce montée par Carlota Clerici est très fidèle à l’auteur. Ses comédiens en effet ne sont pas au service d’un texte ou d’un personnage mais bien d’une situation. Une situation qui est tellement présente qu’on a plus d’une fois envie de dire au comédien de se taire ou de partir, avant de proférer l’irréparable. Silences, rythme, utilisation par chacun de tics ou expressions qui lui sont propres, tout est rapporté à cette matinée durant laquelle tout bascule, et pour un bénéfice nul.

Subtilité des subtilités au-delà du texte, la logique propre à chaque sexe, sa façon différente de vivre des mots semblables, est ici manifestée avec une évidence telle que tout paraît à la fois naturel et transparent au spectateur.

Comme dans la vie réelle chacun a plus de clairvoyance pour autrui que pour lui même, personne n’est complètement pur ou impur, tous ont leur part d’inconscience. Inconscience ou perversion, nul ne peut le dire, car la révélation des mondes intérieurs ne va pas jusque-là…

Pierre FRANCOIS pierrefrancois chez iquebec point com

(1) « Jouer avec le feu », d’August Strindberg. Avec Laurent Benoit, Nathalie Bienaimé, Anatole de Bodinat, Pascal Guignard, Marine Maldrila. M.e.s. de Carlota Clerici. A l’Essaïon, 6 rue pierre au lard (angle 24 rue du Renard), M° : Hôtel de Ville, Rambuteau. Du mercredi au samedi à 20h. Tél. : 01 42 78 46 42.

(2)J.-E. Spenlé, « L’’expressionnisme’ dans les nouvelles de Hermann Kesser », Mercure de France, 15 septembre 1926, p. 603


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette