mercredi 16 avril 2008, par Pierre François
« Road to Mecca » [1] est d’abord la reprise d’un succès de l’an dernier. De plus, c’est une pièce dont tous les personnages ont existé. Alors, certes l’escalier en fer est raide pour accéder à la salle de la Boutonnière, mais le moment que l’on passe sous l’emprise de ces dialogues est exceptionnel. Voilà deux femmes, dont l’une, citadine, est la seule à pouvoir comprendre la démarche artistique de l’autre, qui vit dans un village où l’art brut est une réalité qui suscite plus de peur que d’admiration. Cette vieille artiste reçoit cependant depuis longtemps la visite régulière d’un ami, le pasteur. Tous les trois sont afrikaners, mais sur des trajectoires différentes. À l’occasion des propos qui se profèrent dans ce huis clos, chacun des personnages doit abandonner ses préjugés sur les deux autres pour mieux les connaître. Il y a beaucoup de sensibilité dans le jeu, qui ne laisse rien au hasard, jusqu’à la plus petite hésitation de la main, un regard qui s’éteint, un silence parlant.
La langue est à la fois poétique par les émotions qu’elle suscite et quotidienne dans son expression. Les thèmes remués le sont avec autant de spontanéité et en nombre aussi grand que lors d’une vraie conversation. Pêle-mêle, on aborde les questions de la liberté de l’artiste, de la protection offerte à de vieilles personnes qui n’en veulent pas, de la manipulation, de la solitude affective et de ses fruits amers, des différences entre amour, amitié et confiance, de la peur de vieillir ou de la stérilité artistique, tout cela sur fond, mais en filigrane seulement, de culture afrikaner.
Dès le début de la pièce, on se sent introduit dans un mystère, qui nous reste alors opaque. Les voiles vont se déchirer peu à peu, en même temps que les protagonistes de la pièce se révèlent réciproquement en profondeur. Et tandis que les dialogues serpentent entre sentiments, paraboles, vie concrète ou chemins vers la lumière intérieure et la liberté de l’esprit, le spectateur entre dans la compréhension de la situation, de l’intérieur. Merci.
Pierre FRANCOIS
[1] « Road to Mecca », d’Athol Fugard, trad. Séverine Magois et Vincent Simon. Avec : Beneviève Mnich, Cécile Lehn, Eric Prigent mis en scène par Habib Naghmouchin. Du mardi au samedi à 20 h 30 (sauf 1er mai) jusqu’au 24 mai au théâtre de la Boutonnière, 25, rue Popincourt, Paris-11e, M° : Saint-Ambroise, Voltaire ; http://la.boutonniere.free.fr. Tél. : 01 48 05 97 23. Photo Lot