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Culture : la nébuleuse vaudou

mercredi 16 avril 2008, par Pierre François


Il y a trente ans, un Haïtien vient proposer à Marianne Lehmann, une helvète vivant à Port au Prince, d’acheter une statue servant au culte vaudou. Devant ses réserves, il lui explique qu’il doit soigner un membre de sa famille et que, si elle n’en veut pas, il ira la négocier à un touriste dans un hôtel international. En cédant, elle n’imagine pas le nombre de pièces qui lui seront proposées par la suite. Elle en possède aujourd’hui trois mille et s’est entourée d’amis pour créer une fondation avec en point de mire la création d’un musée en Haïti même.

Le musée ethnographique de Genève a vent de l’affaire et décide d’organiser une exposition [1] pour aider à la création de ce futur établissement. Mais des problèmes de légendage [2] et le fait que le vaudou est un art de vivre qui échappe à toute catégorie ethnographique trop limitée poussent les commissaires de l’exposition à chercher un angle différent, qui avoue la subjectivité du regard ethnographique [3].

C’est le roman de Fabienne Pasquet – L’ombre de Baudelaire – selon lequel le poète aurait été initié au vaudou par sa compagne de vingt ans, originaire de l’île, qui leur sert de fil conducteur. Un des ses poèmes, Le Flacon est en effet très parlant sous un éclairage vaudouisant. Il évoque un aspect important de cette croyance : l’enfermement des esprits dans des récipients alors que le serviteur [4] du vaudou sait que de toute façon il finira par réussir à s’évader.

Dans la première salle est ainsi exposé le texte intégral du poème. Puis une autre montre des objets à l’envers, pour bien signifier l’impossibilité de cerner l’objet étudié. La scénographie des suivantes reste bâtie autour de cette double dimension : citations du poème et subjectivité du regard porté sur une réalité qui nous est toute étrangère.

Cette exposition nous apprend néanmoins bien des choses sur le vaudou [5].

En arrivant d’Afrique, les esclaves, principalement originaires du Bénin actuel [6], amalgament leurs diverses croyances avec les amérindiennes existant à Saint Domingue. Lorsque, fait unique dans l’Histoire, ces captifs se soulèvent, vainquent les armées napoléoniennes et créent la première république noire du monde sur ce qui fut la première terre de colonisation blanche, le vaudou fait partie de leurs moteurs spirituels, à travers le serment de Bois-Caïman (14 août 1791). Entre temps il a commencé à intégrer dans son panthéon, mouvement qui se poursuivra au moment des campagnes antisuperstitieuses [7] du XXe siècle, des saints catholiques qui servent de paravent à un culte sans rapport avec la religion chrétienne.

Car le vaudou est d’abord un animisme tri-polaire (être humain, esprit associé, force vitale l’animant), ressemblant comme deux gouttes d’eau au paganisme grec ancien. Ce système religieux, philosophique, thérapeutique, esthétique… aux sources multiples (y compris franc-maçonnes) et constitué de 21 rites, transporte son serviteur dans un monde magique sans qu’il ait pour autant à changer ses habitudes ou défaire ses liens avec le présent.

S’il a été officialisé par le gouvernement haïtien, il reste une religion en perpétuel devenir et évolution dont la foi est aussi éloignée du christianisme qu’elle en paraît proche. Papa Bon Dieu est le créateur des mondes visibles et invisibles, qui sont en relation, mais il n’existe pas de transcendance et les esprits (loa) auxquels il a délégués ses pouvoirs partagent goûts, habitudes et passions des humains avec lesquels ils peuvent se marier ou avoir de relations intimes.

De même, la Vierge du Perpétuel Secours est en fait la représentation d’Erzulie Freda, loa de l’amour. Et si le loa Damballah-wèdo évoque Moïse sauvé des eaux, c’est juste parce que ses possédés bégaient.

Car la possession – réponse concrète à la dépossession passée de l’esclavage et à celle, toujours possible, de la dictature – est au centre du vaudou, son expression la plus manifeste étant la transe. Selon le Dr Dosainvil, cette dernière est une psycho-névrose religieuse raciale caractérisée par un dédoublement du moi tandis que le Dr Louis Mars y voit un état mystique caractérisé par le délire de la possession théomaniaque ou que Louis Maximilien l’analyse comme un état mental hystérique artificiellement créé par la suggestion ou l’hypnose. Ce qui est sûr, c’est que même pour les initiés, la possession reste un mystère. Le chevauchement, état dans lequel un esprit utilise un fidèle pour s’exprimer, et la zombification, sanction de celui qui a transgressé les règles sociales, sont d’autres modalités de la possession. De façon générale, le culte vaudou n’a rien de despotique : son prêtre ne gouverne pas à la cérémonie, il ne fait que tenter de régler le ballet des possessions, la cérémonie dans son ensemble étant plus une exacerbation de la règle qu’une transgression. Enfin, la cérémonie vaudou, spécialement dans le cadre des sociétés secrètes, parodie la société temporelle et le pouvoir spirituel de façon théâtrale : Pantalon devient Papa Legba et la cérémonie se déroule dans le péristyle, hangar à l’abri des intempéries.

Cette influence théâtrale n’est pas la seule qu’ai subi le vaudou : si on ne lui connaît aucune forme orthodoxe historique, c’est parce qu’il ne cesse de s’agréger de nouvelles pratiques. Actuellement et sous l’influence de la diaspora, ce sont par exemple les chansons rituelles qui deviennent espaces de négociation entre les migrants et leurs familles restées en Haïti en même temps qu’on recourt aux enregistrements vidéos.

En retour, le vaudou influence à son tour les champs psychologiques, sociaux, médicaux, juridiques, musicaux. Même le domaine de l’amour n’y échappe pas. De sorte qu’il peut être certes être appréhendé sous son aspect religieux ou africaniste mais aussi thérapeutique, politique, historique, économique, artistique, etc.

Il existe aussi des influences à double sens. C’est le cas avec les religions chrétiennes. Qui du catholicisme et de ses saints ou du vaudou domine sur l’autre ? Quelle différence entre la transe et le protestantisme pentecôtiste [8] ? Pas de réponse possible sans nuancer. Par ailleurs, l’existence même de l’ethnopsychiatrie confesse la nécessité pour nos sociétés cartésiennes d’accepter l’idée qu’on peut soigner autrement que dans notre seule logique. Le vaudou n’est certes pas le seul mouvement à influencer nos ethnies policées mais son caractère syncrétiste en fait un vecteur privilégié pour ressentir la valeur de l’altérité culturelle.

Notre regard sur le vaudou, qui a progressé au fur et à mesure des époques arrive à un moment où on prend conscience que reconnaître cette altérité et l’existence de valeurs universelles (droits de l’homme, démocratie…) suppose de se rendre compte que le monde occidental ne possède pas la définition immuable de ces valeurs.

La même prise de conscience pousse à dire que la modernité n’est plus l’évolution de l’Occident du XVIe siècle à nos jours mais un processus auxquels ont concouru, en contrepoint et de manière cardinale, les communautés afro-américaines, notamment par leur créativité culturelle et artistique. En ce sens le choc des civilisations est une chimère, seule leurs interactions sont réalité.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] Exposition Le vodou, un art de vivre, tous les jours de 10 heures à 17 heures sauf lundi, jusqu’au 31 août 2008. Musée Ethnographique de Genève, Bd Carl Vogt 65, 1205 Genève, Tél. : +41 (0)22 418 45, bus : 1, 32.

[2] les légendes sont parfois incomplètes et la collection compte beaucoup d’objets venant des sociétés secrètes, lesquelles sont peu étudiées

[3] seul le cumul de subjectivités est à même d’assurer l’objectivité (Michel Leiris).

[4] Le pratiquant du vodou se dit serviteur (des esprits) et peut être housni (initié-e, une fois qu’on a pris l’asson), hougan, gangan, papa loa (prêtre, médecin, voyant et parfois sorcier), mambo (prêtresse), le dansé bwa ou manjé bwa étant la cérémonie qui les réunit. Le vévé est un dessin tracé au sol avec de la poudre de brique, de la farine, de la cendre ou du marc de café, qui matérialise la divinité. Les loa (ou lwa) sont à la fois dieux et lois ; les chevaux des loa étant les adeptes inspirés par un loa lors d’une transe. Le bòkò est un sorcier.

[5] et plus encore l’excellent livre publié par le musée à l’occasion de l’exposition : Vodou, dans la collection Tabou du MEG.

[6] alors royaume du Dahomey

[7] autrement dit persécutions faites par les Chrétiens à l’encontre des Vaudouisants

[8] Voire certaines prières ayant cours dans le renouveau charismatique.


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