holybuzz
Accueil du site > Art et Culture > Photo : Bonté contagieuse

Photo : Bonté contagieuse

On ne présente plus Doisneau, et pourtant chacune de ses rétrospectives provoque le même engouement.

vendredi 10 novembre 2006, par Pierre François


Doisneau est un mythe aimé. Nombre de ses photos sont célèbres. L’enfant tirant une sonnette, le couple regardant un tableau de nu dans la vitrine d’un antiquaire, les variations sur le thème du baiser, toutes ces photos, et d’autres encore font partie de notre mémoire collective. On les retrouve dans cette exposition gratuite [1], qui se tient à l’Hôtel de ville de Paris (à condition de patienter une bonne demi-heure sur le trottoir), mais pas seulement.
Certaines sont expliquées. Ainsi voit-on une douzaine de photos prise depuis l’intérieur de la vitrine de la galerie Romi, dont les deux qui devinrent célèbres. Explication muette du travail d’affût du photographe, dont le but est de se confondre dans le décor jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose devant lui.
Parfois les explications sont plus manifestes, grâce à des enregistrements sonores de Doisneau lui-même s’ouvrant sur son travail. Et on se rend compte qu’il n’est pas nécessaire de comprendre quelque chose à ce qu’on photographie pour en faire de beaux clichés. Ainsi Doisneau confesse-t-il ne rien saisir du monde de la mode. Et pourtant…
Car Doisneau, ce ne sont pas seulement les enfants et les amoureux. Il y a aussi le monde de la nuit, du cabaret, du music-hall, tout ce qui fait une vie, sans exclusive et sans jugement. Enfin, et c’est sans doute son aspect le plus intéressant car le plus graphique, le plus épuré, il y a aussi le chercheur visuel. Celui qui fait voisiner un arbre avec un immeuble, et parvient à créer une atmosphère grâce au rapprochement de ces deux éléments. On qui fait des montages suggérant la vie cachée qui se passe dans un lieu : les locataires d’un immeuble ou les pensées des passants. Subtilement et avec tendresse, comme toujours. Ce sont là sans doute ses photos les moins connues, mais pas les moins intéressantes.
Dans un cas, il évide une première photo géante qu’il transforme en cadre pour une série d’autres plus petites, dans l’autre il plaque ses petites photos sur des cubes surgissant de l’image de la grande photo qui sert de support, à chaque fois l’intention est de relier le fragmentaire à l’ensemble. Et ce qui était alors d’avant garde (en 1965 ou 1978) est aujourd’hui original et harmonieux, ce qui témoigne de son côté artistiquement visionnaire.
Si la grande période de Doisneau couvre les années quarante à soixante, la production de ses quatre cents cinquante mille clichés s’étale de 1934 au 25 septembre 1993, environ sept mois avant sa mort. Par sa génération autant que par ses choix photographiques il fait partie, avec Ronis, Boubat, Brassaï, Izis, Janine Niepce et quelques autres de l’école dite de la « photographie humaniste », courant qui s’épanouit de mil neuf cent trente à mil neuf cent soixante.
Tablier de Rivoli, © Atelier Robert Doisneau Ainsi, le premier sujet de Doisneau est l’homme ou la femme. Même quand paradoxalement il est absent du cadre, la photo dégage une atmosphère qui fait penser à lui. Son premier impératif est de ne jamais le ridiculiser. Au contraire, il fait toujours preuve d’humilité, de tendresse et de bienveillance face à son sujet. Même quand, comme dans le cas de prostituées, il dégage une atmosphère de tragédie ordinaire.
Sans doute avait-il conscience du comportement décalé qui était le sien dans un monde qui respectait de moins en moins l’humain. Ainsi disait-il « ma photo, c’est le monde tel que je souhaite qu’il soit ». A moins qu’il n’ait voulu là faire écho à l’affirmation de Picasso -qu’il photographia souvent– selon laquelle « je peins les choses comme je les pense et non comme je les vois » ?
1949, La dernière valse du 14 juillet, © Atelier Robert Doisneau Toujours est-il que si Doisneau extrait dans chacune de ses photos une part d’humanité, il nous laisse concevoir le cadre qui va avec. A ce titre, parler de nostalgie serait plaquer sur son œuvre le sentiment du spectateur seul, et trahir l’intention de celui qui jamais ne voulu être ethnologue ou historien.
Doisneau était et ne se voulait que photographe. Travaillant seul ou à la commande, pour l’industrie, la publicité ou la presse, à l’affût ou à la volée…
Cette rétrospective a deux mérites particuliers. D’une part elle reprend des sélections que le photographe lui même fit pour de précédentes expositions. D’autre part elle fait découvrir des aspects méconnus de Doisneau : les séries et montages.
C’est à l’identique que nous sont montrées deux séries de photos -le même concept d’images placées côte à côte que celui que la Fnac expose à Bordeaux en ce moment– réalisées place de la Concorde ou à la Tour Eiffel, mais à l’époque où le Leica remplaçait le Rolleiflex… Pour le reste, cette exposition, très riche, a eu le souci de faire entendre la voix du maître, de ne pas occulter les photos les plus célèbres mais de le montrer dans un environnement qui les complète… et de prévoir des endroits pour s’asseoir, comme dans un musée. Ces clichés le méritent bien.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] (1) Paris en liberté, Doisneau. Exposition gratuite à l’Hôtel de ville de Paris, salle St Jean, 5 rue Lobau, 75 004 Paris. Tous les jours sf dim. et fête de 10 à 19h. jusqu’au 17 février 2007, M° : Hôtel de Ville, sortie rue Lobau. Photos : Atelier Robert Doisneau : le nouveau XV°, Les tabliers de Rivoli, La dernière valse du 14 juillet.

1 Message


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette