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Francophonie : le coût du snobisme anglophone

samedi 20 octobre 2007, par Pierre François


Le protocole de Londres, voté par l’Assemblée nationale le 26 septembre dernier et par le Sénat le 9 octobre provoque une fronde réunissant linguistes, syndicalistes et patrons. Il permettrait, dit-on, aux entreprises françaises d’économiser sur la traduction des brevets européens. Ce protocole est différent de la CBE 2000 [1] souhaité par les professionnels du secteur et devant être ratifié avant le 13 décembre 2007. Quelle est la situation ?

Le protocole est ratifié par 13 états depuis 2001, deux exigeant que la « revendication » soit traduite dans leur langue [2]. Mais 18 l’ont rejeté [3]. Un des enjeux est que s’il est signé par la France, il s’imposera aussi à tous les pays qui l’ont rejeté, créant ainsi une division supplémentaire au sein de l’Europe communautaire.

Valérie Pécresse et Jean-Pierre Jouyet avancent que « les coûts de traduction… représentent 40 % de l’investissement initial en vue de l’obtention d’un brevet ». Or pour l’Office Européen des Brevets il est en moyenne de 13% du total pour quatre langues déposées dans 6 Etats pour 10 ans. On dépose peu dans « chacune des langues des 32 pays membres », quatre assurant une protection à 95 %. Le seul cas où ce peut être utile est celui de l’industrie pharmaceutique. Et à côté d’un coût moyen de traduction de 1800 € par brevet (source : O.E.B.), la seule « taxe d’examen » par l’O.E.B. est de 1335 €, les taxes pour « recherche » ou pour « avis technique » lui étant encore supérieures… L’économie pour les entreprises françaises serait en théorie de 5 Millions d’euros mais elles devront en fait continuer à traduire pour les pays n’ayant pas ratifié le protocole (USA, Japon…). À l’inverse les entreprises de ces pays économiseront 22 Millions d’euros, les allemandes 10 Millions et les anglaises 1,6 Million.

Les PME françaises déposent peu, pour des causes culturelles. Elles se sentent peu protégées par le droit des brevets. Cette matière n’est qu’une option à Polytechnique. Un universitaire qui publie une invention ne peut la déposer. Il faut payer et se déplacer pour consulter les brevets. C’est l’inverse aux Etats-Unis, où on accepte [4] les dépôts « en grappe ». Un concurrent peut ainsi déposer une infinité de brevets voisins de celui d’un autre puis revendiquer des droits quand l’inventeur initial améliore son procédé. Il est évident que dans ces conditions non seulement les PME déposeront encore moins mais elles négligeront de se tenir au courant des innovations, délivrées dans un anglais des plus techniques.

Juridiquement, le brevet comporte la « revendication » qui fait foi devant les tribunaux et doit être traduite, et la « description ». Le texte proposé au Parlement permettrait à l’inventeur de réinjecter a posteriori dans la revendication des parties de la description : un texte dans une langue (étrangère) fera foi à côté d’un autre dans une autre langue, devant le juge français. Est-ce parce que la ministre entrevoit les contentieux qui en résulteront qu’elle voudrait que ces litiges soient jugés par la Cour européenne [5] ; afin d’économiser sur la formation linguistique de ses juges ?

D’autre litiges linguistiques se préparent. L’accident de l’hôpital d’Epinal est dû à un logiciel non traduit, contrairement aux exigences du Code du Travail [6]. Un salarié bilingue coûte cher. Les employeurs rechignent à accepter que leurs employés suivent des stages linguistiques. Où un employeur va-t-il trouver l’argent pour payer des employés bilingues ? Par ailleurs, les assurances refusent en principe de couvrir les dommages dus à une inobservation du droit du travail. Le cas d’Epinal n’est que le premier connu, un autre a eu lieu en Allemagne le 12 août dernier.

Enfin, on sait qu’un pub n’est pas un bar qui n’est ni un restaurant ni une tavola calda. On sait moins que prétendre payer cash ne dit pas si ce le sera comptant, en espèces ou en liquide, en numéraire ou sur la trésorerie… On se rend compte qu’un avocat ne fait pas le même travail qu’un sollicitor et on apprend que le sheriff fait en partie celui de l’huissier de justice. On pense avec nos mots, lesquels structurent une société. Quand on sait que les bureaux des traducteurs sont les principales sources terminologiques d’une langue, on se demande de quoi serait faite une société schizophrène dont la pensée se diluerait dans l’imprécision de termes empruntés à l’étranger.

Il n’y a pas de fatalité. Le web était à 45 % anglophone à ses débuts, il ne l’est plus qu’à 30 %, la Californie prend modèle sur le Québec pour résister à son hispanisation, le Manitoba anglophone se soucie de sa minorité francophone au point d’inviter une délégation de francophones locaux à venir passer un accord avec une région française et le président Poutine a lancé le 3 septembre dernier une chaîne de télévision pour reactiver la langue russe.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] Convention sur le Brevet Européen, qui rend le protocole encore plus dangereux pour le droit français.

[2] Le Danemark et la Suède.

[3] Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Espagne, Estonie, Finlande, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lituanie, Pologne, Portugal, République slovaque, République tchèque, Roumanie, Turquie. Les états partie à la Convention sur les Brevets Européens sont en effet au nombre de 31.

[4] et l’O E B avec, qui ne rejette que 4 % des demandes présentées.

[5] laquelle a reconnu la « compétence exclusive » des juges nationaux le 13 juillet 2006.

[6] cf les jurisprudences Gem et Europ Assistance où les employeurs ont été condamnés à franciser leurs logiciels.


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