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Francophonie : anniversaire ironique

samedi 20 octobre 2007, par Pierre François


Le 15 novembre 1976, au Canada français, René Lévêque gagne les élections provinciales à la tête du Parti québécois, dans un contexte de bataille linguistique. Le 26 août 1977, l’Assemblée Nationale du Québec adopte la « Charte de la langue française », dite « loi 101 », après 200 jours de débats houleux (certains opposants parlaient de « loi de fous »). Seules la Constitution et la « Charte des droits et libertés » lui sont supérieures. La population québécoise est alors à 80 % francophone, 15 % anglophone et 5 % allophone et on a vu comment le bilinguisme officiel [1] aboutit de fait à un unilinguisme anglophone.

Le français devient la langue officielle du Québec et cela se traduit notamment par l’obligation de l’utiliser au travail, dans l’administration, la publicité et l’enseignement. Les immigrants doivent mettre leurs enfants à l’école française jusqu’au collège.

Mais, en 1998, un jugement de la Cour suprême du Canada conduit les libéraux à ne demander qu’un affichage principal en français dans les publicités. De plus, on estime qu’entre 1990 et 2002 5400 élèves ont réussi à échapper à l’obligation de l’enseignement en français [2]. Fin août 2007, le juge d’appel québécois Allan R. Hilton [3], qui avait des liens avec un parti défendant les anglophones du Québec [4], a rendu un jugement (en anglais) autorisant le fait de suivre un enseignement en anglais. Il déclare en effet que la disposition interdisant aux enfants ayant fréquenté une école privée non subventionnée anglophone de s’en prévaloir pour poursuivre leurs études en milieu anglophone est contraire à la Charte des droits et libertés. Le paradoxe est que René Lévêque a justement toujours refusé de ratifier la Constitution canadienne pour éviter que l’Assemblée nationale du Québec ne perde de compétences en matière d’éducation…

Le gouvernement québécois a déjà déposé un recours (suspensif) devant la Cour suprême du Canada et les spécialistes estiment qu’il faudra deux à trois ans avant qu’il ne soit tranché. Enfin, le courrier des lecteurs du quotidien « Le Devoir » révèle régulièrement des impossibilités pour un francophone québécois à trouver un interlocuteur de sa langue, que ce soit à l’aéroport Dorval, dans les commerces ou parfois dans les instances officielles (ou alors uniquement par téléphone, par exemple).

Pendant ce temps, le gouvernement fédéral se couche de plus en plus souvent devant la toute puissance états-unienne, par exemple en acceptant des conditions défavorables en matière de vente de bois d’œuvre alors pourtant qu’il y a un jugement de l’O.M.C. en sa faveur. Aujourd’hui les québécois francophones représentent 2 % de la population nord-américaine. Sur l’île de Montréal 700 000 des 900 000 habitants sont anglophones. Il est néanmoins loin d’être évident que le rouleau compresseur anglophone parvienne à évacuer le français dans la mesure où M. Stephen Harper, Premier Ministre du Canada (donc du fédéral, auquel la belle province s’oppose régulièrement), disait le 19 décembre 2005 : « le Canada a été fondé à Québec par des francophones… le Québec est le cœur du Canada, et… la langue française est un élément indéniable de l’identité de tous les Canadiens, même si certains d’entre nous ne le (sic) parlons pas aussi bien que nous le devrions ». Flatterie ? Peu importe : le fait français est acquis par les élites culturelles anglophones. Il est si vivant que Glénat a ouvert une succursale au Québec en mars dernier. Par contre, la francophonie d’outre-Atlantique devrait nous faire réfléchir à notre propre usage du français : là-bas, en face d’une population et d’instances officielles motivées pour parler un français correct [5] – ce qui ne signifie aucunement parisien ou hexagonal pour autant – on en est à dire « bon matin », traduction littérale de « good morning » dans les entreprises, ou à afficher des publicités vantant « zéro dépôt de sécurité », barbarisme pour dire que tout « cautionnement » ou « dépôt de garantie » est inutile. Ces faits doivent nous alerter sur notre propre usage du français dans un contexte où un snobisme insolent veut nous faire parler anglais sans avoir jamais démontré que cela fasse faire des économies à nos entreprises ou à la nation (et on aurait du mal à le faire : c’est l’inverse !).

En attendant, les journaliste anglophones sont quasi-incapables de couvrir l’actualité québécoise sans critiquer la loi 101, ce qui démontre son utilité, même si le bus de ramassage scolaire ne dessert plus que les écoles anglophones tandis qu’on intoxique les francophones avec une prétendue option pour le multiculturalisme.

Pierre FRANCOIS

Notes

[1] par exemple au Nouveau-Brunswick, avec les Acadiens.

[2] Statistique Canada révèle que les unilingues anglophones du Québec ont un revenu moyen de 34 097 $ contre 29 665$ pour les francophones, les immigrants choisissant l’anglais 27 216$ contre 22 233. Et quand on considère les femmes, le même écart se retrouve dans des salaires encore moindre. Le choix de l’anglais ne semble donc pas dû à l’amour d’une civilisation.

[3] appuyé par le juge Pierre Dalphond, le juge Lorne Giroux étant dissident.

[4] Alliance Québec, disparu en 2005 avec les subventions qui le finançaient à 90%.

[5] aidées en cela par ce formidable outil qu’est le grand dictionnaire terminologique, qui propose pour chaque terme technique anglais ou franglais un équivalent français. Il est à l’adresse : http://www.granddictionnaire.com/


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